Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ", Ă©crit ValĂ©ry dans la cĂ©lĂšbre "PremiĂšre Lettre" de "La crise de l'esprit" qui ouvre VariĂ©tĂ© 7. A la mĂȘme Ă©poque en 1919, que pense Gide de notre civilisation occidentale, agonisante aprĂšs la dĂ©liquescence de l'Histoire qui suit la premiĂšre Guerre Mondiale ? Interrogation curieuse : soumettre Ă  Gide Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». Cette citation du poĂšte Paul Valery illustre parfaitement la pĂ©riode actuelle puisque l’humanitĂ© est confrontĂ©e Ă  une crise affectant tous les domaines de son existence, crise financiĂšre, Ă©conomique, sociale, politique, Ă©nergĂ©tique, technique, Ă©cologique, anthropologique...Cette crise n’est d’ailleurs pas seulement globale mais systĂ©mique, au sens oĂč quelque chose fait lien entre ses multiples facettes. Ce qui fait lien ce n’est pas tant que la sociĂ©tĂ© a sombrĂ© dans la dĂ©mesure, mais le fait que le paradigme fondateur de la civilisation marchande soit entrĂ© lui-mĂȘme en dissonance. Nous crevons tout autant de la victoire du processus de marchandisation, qui a conduit, depuis deux siĂšcles, Ă  rendre marchand tout ce qui pouvait l’ĂȘtre, qu’à l’impossibilitĂ© structurelle de ce mĂȘme processus de se poursuivre crise systĂ©mique n’est donc pas seulement une crise des mĂ©faits, bien rĂ©els, de la marchandisation mais un blocage structurel liĂ© Ă  la logique de marchandisation sommes donc face Ă  un grand mouvement de dĂ©marchandisation, malgrĂ© les efforts constants pour remarchandiser ce qui l’était moins grĂące aux conquĂȘtes sociales. La marchandisation appartient donc probablement au passĂ©, mĂȘme si nous n’en avons pas encore pleinement conscience, mĂȘme si nous ne sommes pas prĂȘts d’en finir avec le capitalisme, surtout qu’il pourrait trĂšs bien parvenir Ă  ouvrir de nouveaux champs Ă  la marchandise avec l’anthropocĂšne transhumaniste. La marchandisation est donc un passĂ© qui n’en a peut ĂȘtre pas fini, mais dont les dommages ne pourront que croĂźtre s’il s’obstine encore Ă  obstruer l’horizon historique et Ă  noyer nos vies dans les eaux glacĂ©es du calcul Ă©goĂŻste selon l’heureuse formule de Marx. Ce moment prĂ©sent est pourtant celui d’une relĂšve possible de ce principe qui se meurt en tant que paradigme dominant par un nouveau principe que le systĂšme voudrait refouler de sa vision. Albert Einstein disait que tant qu’on a la tĂȘte sous forme d’un marteau on perçoit tous les problĂšmes sous forme de clou. Tant que nous aurons la tĂȘte formatĂ©e par les globalivernes qui prĂ©sident Ă  la vision dominante du monde nous resterons dans l’incapacitĂ© de saisir ce qui se dĂ©veloppe. Nous devons donc redevenir des voyants comme nous y incitait Arthur nouvel Ăąge qui sonne Ă  la porte de l’humanitĂ© porte le joli nom de gratuitĂ©, ou, pour le dire de façon plus savante, de dĂ©fense et d’extension de la sphĂšre de la gratuitĂ©, car cette gratuitĂ© n’a jamais totalement disparu, mĂȘme au sein du versus marchandisation, deux gĂ©ants aux prises depuis des siĂšcles et dont nous retracerons sommairement l’histoire. GratuitĂ© versus marchandisation, deux plaques tectoniques dont les mouvements dĂ©gagent sous nos yeux de nouveaux continents. Nous partirons donc Ă  la dĂ©couverte des Ăźlots de gratuitĂ©. Nous nous demanderons quel rapport cette marche vers la sociĂ©tĂ© de la gratuitĂ© entretient avec l’idĂ©e galopante d’un revenu gratuitĂ©, dont je parle, est, bien sĂ»r, une gratuitĂ© construite, Ă©conomiquement construite, socialement construite, culturellement construite, politiquement, construite, Ă©cologiquement construite, juridiquement construite, anthropologiquement construite, etc. Il ne s’agit donc pas simplement de ces gratuitĂ©s naturelles » comme le soleil ni mĂȘme de ces gratuitĂ©s premiĂšres comme l’amour, l’amitiĂ©, la gentillesse, la solidaritĂ© qui donnent pourtant du prix Ă  la gratuitĂ©s, que j’évoque, se dĂ©veloppent avec le retour des communs, dont la forme peut ĂȘtre celle des services publics Ă  la française, ou, des nouveaux espaces de gratuitĂ© qui embellissent nos villes, boites Ă  livres, jardins partagĂ©s, dĂ©coration florale
Cette gratuitĂ© n’est pas la poursuite du vieux rĂȘve mensonger Demain, on rase gratis » ; elle ne croit plus aux lendemains qui chantent » car elle veut justement chanter au prĂ©sent ; elle ne promet pas une libertĂ© sauvage d’accĂšs aux biens et services, mais relĂšve d’une grammaire, avec ses grandes rĂšgles et ses exceptions. PremiĂšre rĂšgle la gratuitĂ© ne couvre pas seulement les biens et services qui permettent Ă  chacun de survivre comme l’eau vitale et le minimum alimentaire, elle sĂ©tend, potentiellement, Ă  tous les domaines de l’existence, y compris le droit au beau, le droit Ă  la nuit, le droit Ă  prendre part Ă  la culture et Ă  la politique. DeuxiĂšme rĂšgle si tous les domaines de l’existence ont vocation Ă  ĂȘtre gratuits, tout ne peut ĂȘtre gratuit dans chacun des domaines, et, pas seulement pour des raisons de rĂ©alisme comptable, mais parce que la gratuitĂ© est le chemin qui conduit Ă  la sobriĂ©tĂ©. TroisiĂšme rĂšgle le passage Ă  la gratuitĂ© suppose de transformer les produits et service prĂ©existants dans le but d’augmenter leur valeur ajoutĂ©e sociale, Ă©cologique et trois rĂšgles se rejoignent au sein d’un nouveau paradigme gratuitĂ© du bon usage face au renchĂ©rissement du mĂ©susage. Ces trois rĂšgles n’épuisent, bien sĂ»r, pas tous les dĂ©bats. Est-il possible de dĂ©montrer que la gratuitĂ©, loin de provoquer l’irresponsabilitĂ© dont on l’accuse, fait partie des solutions anti-gaspillage ? Comment s’opposer Ă  ceux qui clament que la gratuitĂ© aboutira au renforcement de Big-Brother et de Big-Mother, au contrĂŽle soupçonneux d’un cĂŽtĂ© et Ă  l’assistanat liberticide d’un autre ? Pourquoi la gratuitĂ© serait-elle plus efficace que les tarifs sociaux ? Cet ouvrage rĂ©pondra, sans faux fuyants, Ă  toutes les questions que se posent lĂ©gitimement les citoyens et les contribuables, car il faut bien lever les peurs, savamment entretenues, pour rouvrir le champ des possibles et avancer vers la voyage nous conduira Ă  la dĂ©couverte gourmande des mille et une expĂ©riences de gratuitĂ© qui fleurissent aujourd’hui gratuitĂ© de l’eau, de l’énergie, de la restauration scolaire, des services culturels, bibliothĂšques comme musĂ©es, des Ă©quipements sportifs, des services funĂ©raires, de la santĂ©, de l’enseignement, du logement, des transports en commun scolaires et urbains, de l’accĂšs aux services juridiques et aux donnĂ©es publiques, de la participation politique, des parcs et jardins publics, des espaces de jeux, de l’embellissement des villes, du numĂ©rique
Ce voyage fraye aussi des chemins plus escarpĂ©s pour passer de ces Ăźlots de la gratuitĂ© Ă  des archipels puis, demain, Ă  un continent. J’ai l’espoir que tous ces petits bouts de gratuitĂ© finiront par cristalliser, donnant naissance Ă  une nouvelle civilisation, laquelle cohabitera longtemps avec un secteur marchand de la mĂȘme façon qu’existent encore, aujourd’hui, des formes de vie prĂ©capitalistes. J’ai envie de croire, et j’ai de bonnes et de belles raisons pour cela, que cette sphĂšre de la marchandise dĂ©clinera jusqu’à disparaitre. Mais la gratuitĂ© ne fera sociĂ©tĂ© que si elle terrasse les quatre cavaliers de l’Apocalypse qui menacent l’humanitĂ© et la planĂšte, que si elle permet de commencer Ă  sortir de la marchandisation de la monĂ©tarisation, de l’utilitarisme, de l’économisme, que si elle nous conduit au-delĂ  de la logique des besoins et de la proposition paraĂźtra iconoclaste Ă  l’heure oĂč les tenanciers du capitalisme rĂ©pĂštent en boucle que ce qui serait sans valeur marchande perdrait humainement toute valeur, comme si l’amour et l’amitiĂ© n’existaient dĂ©jĂ  pas pour eux ; Ă  l’heure aussi oĂč la crise Ă©cologique leur sert de prĂ©texte pour Ă©tendre la sphĂšre de la marchandisation, selon les principes du pollueur-payeur » et de l’utilisateur payeur » en attendant que l’anthropocĂšne transhumaniste ne clore dĂ©finitivement ce dĂ©bat. Je sais bien qu’il reste des Bastille Ă  prendre mais nous n’y parviendrons qu’en brisant les images qui claquemurent nos vies. Ce voyage est un hymne au plus Ă  jouir » qu’offrira la gratuitĂ©, il dĂ©bouchera sur la sociĂ©tĂ© des usagers maĂźtres de leurs usages. Nous n’assistons pas seulement Ă  l’accouchement d’un nouveau monde car nous en sommes collectivement les vĂ©ritables acteurs. Le paradoxe veut que nous n’en soyons pas conscients car nous manquons d’outils intellectuels et de la sensibilitĂ© permettant de percevoir et de comprendre ce qui Ă©merge comme le signe annonciateur, une Ă©piphanie prometteuse, d’un autre futur. L’époque nous rend victimes d’un double tropisme aveuglant. Nous ne parvenons plus Ă  croire ce que nous savons car le dĂ©ni s’avĂšre ĂȘtre le principe structurant de nos existences collectives. Chacun sent bien que le capitalisme nous conduit dans le mur et pourtant nous continuons Ă  avancer comme si nous Ă©tions indiffĂ©rents au devenir du monde et Ă  celui de nos enfants. Le philosophe Pascal Ă©voquait la façon dont les multiples activitĂ©s nous distraient du sentiment de notre propre finitude. Ce refoulement s’est Ă©tendu aux menaces qui pĂšsent sur le devenir mĂȘme du genre humain compte tenu du risque d’effondrement. L’appel Ă  la responsabilitĂ© s’avĂšre d’une piĂštre utilitĂ© face au pĂ©ril. Ce constat pessimiste oblige Ă  refermer l’illusion des lumiĂšres l’accĂšs au savoir est bien une condition prĂ©alable Ă  l’émancipation mais il n’en est pas la condition. Comme l’écrit Gilles Deleuze, seul le dĂ©sir est rĂ©volutionnaire et la gratuitĂ© fonctionne au second blocage est tout aussi terrifiant puisque nous constatons que croire ce que l’on sait ne suffit pas toujours Ă  agir. Je ne parle mĂȘme pas ici d’une action rĂ©flĂ©chie et efficace. Le rĂ©quisitoire est Ă©tabli depuis si longtemps qu’il en est devenu assommant, au point de susciter la paralysie et le cynisme. Le sentiment d’impuissance Ă©teint les lumiĂšres dans nos tĂȘtes. La gratuitĂ© bouscule ce schĂ©ma mortifĂšre en introduisant d’autres formes d’intelligence. L’intelligence rationnelle conserve toute sa part et cet ouvrage apportera les informations, les analyses, les concepts qui sont autant de joyaux pour penser la transition. L’intelligence du cƓur est sollicitĂ©e car nous avons tous/toutes la gratuitĂ© chevillĂ©e au cƓur en raison de sa charge Ă©motionnelle liĂ©es Ă  nos relations amoureuses, amicales, affectives, bĂ©nĂ©voles. L’intelligence pratique s’avĂšre Ă©galement de l’ouvrage car la gratuitĂ© est d’abord du domaine du faire et d’un faire collectif. Ces intelligences de la raison, du cƓur et de la main s’épanouissent mieux en sociĂ©tĂ©, car la gratuitĂ© ne s’expĂ©rimente jamais seul. La gratuitĂ© s’oppose Ă  toute robinsonnade puisqu’elle fait sociĂ©tĂ©.

Lauteur se penche sur l’esthĂ©tisation du dĂ©clin de l’Occident, en partant du postulat de l’invention d’un genre proche mais distinct de la dystopie : la contre-utopie, qui est analysĂ©e comme le memento mori de la civilisation. Nombre de pages: 206; Parution: 07/04/2021; Collection: Études de littĂ©rature des xx e et xxi e

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Exemplede dĂ©finition des termes du sujet : « Pensez vous que cette phrase de Paul ValĂ©ry, Ă©noncĂ©e en 1919 : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » s’applique aujourd’hui Ă  l’Europe ? » (culture gĂ©nĂ©rale ENA 2013) Voici comment je sĂ©lectionnerais stratĂ©giquement les termes Ă  dĂ©finir : Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’empires coulĂ©s Ă  pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins ; descendus au fond inexplorable des siĂšcles avec leurs dieux et leurs lois, leurs acadĂ©mies et leurs sciences pures et appliquĂ©es, avec leurs grammaires, leurs dictionnaires, leurs classiques, leurs romantiques et leurs symbolistes, leurs critiques et les critiques de leurs critiques. Nous savions bien que toute la terre apparente est faite de cendres, que la cendre signifie quelque chose. Nous apercevions Ă  travers l’épaisseur de l’histoire, les fantĂŽmes d’immenses navires qui furent chargĂ©s de richesse et d’esprit. Nous ne pouvions pas les compter. Mais ces naufrages, aprĂšs tout, n’étaient pas notre affaire. Élam, Ninive, Babylone Ă©taient de beaux noms vagues, et la ruine totale de ces mondes avait aussi peu de signification pour nous que leur existence mĂȘme. Mais France, Angleterre, Russie. .. ce seraient aussi de beaux noms. Lusitania aussi est un beau nom. Et nous voyons maintenant que l’abĂźme de l’histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la mĂȘme fragilitĂ© qu’une vie. Les circonstances qui enverraient les Ɠuvres de Keats et celles de Baudelaire rejoindre les Ɠuvres de MĂ©nandre ne sont plus du tout inconcevables elles sont dans les journaux. Paul ValĂ©ryLe Dico des citations Nousautres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’empires coulĂ©s Ă  pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins ; descendus au fond inexplorable des siĂšcles avec leurs dieux et leurs lois, leurs acadĂ©mies et leurs sciences pures et appliquĂ©es ; avec leurs grammaires, leurs Ennemi, tout ce qui dans notre vie nous nuit, joue contre nous en nous mettant en Ă©chec. Nous n’aimons pas nos ennemis et nous nous efforçons d’échapper Ă  leur pouvoir. Au contraire l’alliĂ© est accueilli avec reconnaissance. Il nous apporte son aide, concourt Ă  nos projets et Ă  nos actions. Ces deux fonctions sont antinomiques et il nous semble naĂŻvement qu’une mĂȘme chose ne peut pas ĂȘtre les deux Ă  la fois. C’est que d’ordinaire l’ambiguĂŻtĂ© nous Ă©chappe or ce qui est en jeu dans cet Ă©noncĂ© c’est prĂ©cisĂ©ment l’ambiguĂŻtĂ© de notre expĂ©rience du temps. Que le temps passe vite ! » Avec le temps va tout s’en va, [
] avec le temps tout fout le camp » se lamente-t-on comme si le temps Ă©tait vĂ©cu comme une malĂ©diction, un adversaire nous confrontant Ă  notre impuissance et suscitant rĂ©volte, dĂ©sespoir voire ressentiment. Mais d’autres expressions attestent du contraire. Fais confiance au temps, il guĂ©rit tout » dit-on parfois. Quel est donc le statut du temps dans l’existence humaine ? Un ennemi seulement ThĂšse ou aussi une chance, la condition de notre libertĂ© et l’occasion de dĂ©ployer les ressources sublimes de notre humanitĂ© AntithĂšse ? Et d’oĂč vient cette ambiguĂŻtĂ© ? DĂ©pend-elle de la nature du temps ou de notre maniĂšre de nous projeter vers lui ? DĂ©passement. Avertissement La problĂ©matique n’exige pas d’affronter la question de la nature du temps. De simples dĂ©finitions opĂ©ratoires suffisent. Il s’agit d’interroger l’expĂ©rience humaine du temps c’est-Ă -dire notre condition dans la mesure oĂč la temporalitĂ© en constitue l’étoffe. Il est donc pertinent de faire rebondir la rĂ©flexion en isolant un aspect du temps et en examinant les diffĂ©rentes maniĂšres de se situer par rapport Ă  lui. Plan et idĂ©es essentielles. I L’écoulement temporel. On dit que le temps passe ou s’écoule. Notre expĂ©rience du temps est celle du changement des ĂȘtres et des choses. Nous nous reprĂ©sentons le temps comme un fleuve emportant tout sur son passage. Un aphorisme d’HĂ©raclite dit Tu ne te baigneras pas deux fois dans le mĂȘme fleuve ». a La fuite du temps est expĂ©rience de la finitude. Le temps nous est comptĂ©, non par un caissier mais par un bourreau. Nous sommes tous des condamnĂ©s Ă  mort en sursis et chaque moment qui passe rapproche de l’échĂ©ance ultime. D’oĂč l’angoisse, compagne fidĂšle de l’existant. b Mais c’est parce que la vie est limitĂ©e, fragile qu’elle a une infinie valeur. Sa puissance d’émotion, son caractĂšre sacrĂ© procĂšde de sa briĂšvetĂ©. Une vie sans fin s’oublierait comme don prĂ©cieux et exposerait Ă  l’ennui. C’est aussi parce que la vie est menacĂ©e qu’il y a une urgence de vivre c’est-Ă -dire de cueillir le jour et d’agir pendant qu’il est temps. Enfin le sablier qui s’écoule est l’aiguillon de la crĂ©ation. HantĂ© par la caractĂšre destructeur du temps l’homme produit des Ɠuvres par lesquelles il cherche Ă  se survivre. Le monument de la culture est un dĂ©fi au temps et Ă  la mort. Il est selon la belle formule de Malraux un antidestin ». a La fuite du temps, c’est le vieillissement, l’essoufflement de la vitalitĂ© juvĂ©nile, les offenses diverses de l’ñge, la perte des illusions. Elle nous confronte Ă  l’inexorable travail d’anĂ©antissement effectuant en nous son Ɠuvre dĂ©lĂ©tĂšre. Or il y a en l’homme une horreur de ce qui dĂ©truit. b Certes mais pour ceux qui ne se contentent pas d’ĂȘtre le terrain oĂč s’effectue la geste destructrice du temps, vieillir est l’occasion d’acquĂ©rir de l’expĂ©rience, de mĂ»rir et de devenir plus sage. De construire aussi, en inscrivant son effort dans une durĂ©e nous liant Ă  ceux qui nous ont prĂ©cĂ©dĂ©s et Ă  ceux qui nous suivront. Le temps est ici le mouvement de l’histoire par lequel l’humanitĂ© qui commence par n’ĂȘtre rien dĂ©ploie progressivement les dispositions de sa nature. On peut donc rendre grĂące au temps d’ĂȘtre la condition du perfectionnement de notre nature ThĂšse kantienne, ou de ce qui est nĂ©cessaire Ă  la raison universelle pour s’incarner dans le rĂ©el ThĂšse hĂ©gĂ©lienne. II L’irrĂ©versibilitĂ© temporelle. Si l’espace peut se parcourir de A en B et de B en A, le temps a une direction. On ne peut jamais revenir en arriĂšre. Il ne se parcourt que dans un seul sens. a Ce qui a Ă©tĂ© n’est plus, d’oĂč la nostalgie des jours heureux. Ce qui est fait ne peut ĂȘtre dĂ©fait. Tous les onguents d’Arabie n’effaceront pas la tĂąche de sang qui souille la main de Lady Macbeth. D’oĂč le regret et le remords. Temps marque de mon impuissance » remarque Jules Lagneau et Nietzsche pointe dans le temps, l’adversaire qui, en enchaĂźnant l’homme Ă  un passĂ© dĂ©finitivement fixĂ©, condamne la volontĂ© Ă  ne pas pouvoir tout vouloir. D’oĂč le poison du ressentiment. Ceci, oui, seul ceci est la vengeance mĂȘme le ressentiment de la volontĂ© contre le temps et son ce fut ». De La rĂ©demption. Ainsi parlait Zarathoustra. b Mais l’expĂ©rience de cette impuissance existentielle peut conduire les hommes Ă  libĂ©rer les ressources les plus sublimes de leur nature. Le pardon, par exemple, comme rĂ©demption possible de la situation d’irrĂ©versibilitĂ© » Hannah Arendt. Condition de l’homme moderne, Pocket, p. 302. La justice comme souci de la rĂ©paration, fĂ»t-elle purement symbolique et surtout le sentiment de responsabilitĂ©. Puisqu’on ne peut pas dĂ©faire ce qui a Ă©tĂ© fait, il importe de bien mesurer les consĂ©quences de ses actes et d’éviter de commettre l’irrĂ©parable. a L’irrĂ©versibilitĂ©, c’est aussi la fatalitĂ© de l’oubli. On est des machines Ă  oublier » vitupĂšre Barbusse dans son roman Le Feu et Proust, ce grand poĂšte de l’oubli, s’obstine Ă  retrouver le temps perdu. C’est que l’oubli abĂźme dans le nĂ©ant ce qui fut ; il expose Ă  recommencer les erreurs passĂ©es ou Ă  perdre le capital des richesses conquises par le travail des hommes, ces richesses que seules la transmission et la mĂ©moire peuvent faire fructifier. b Certes il y a une nĂ©gativitĂ© de l’oubli mais il y a aussi une positivitĂ©. La mĂ©moire est, en effet, dangereuse lorsqu’elle emprisonne l’esprit dans des cadres figĂ©s, rend indisponible au prĂ©sent et Ă  son imprĂ©visible nouveautĂ©, rĂ©active en permanence les blessures passĂ©es et cultive le ressentiment. Le souvenir peut ĂȘtre une plaie purulente dont le bienheureux oubli libĂšre utilement. Il est possible de vivre presque sans souvenir et de vivre heureux, comme le dĂ©montre l’animal, mais il est impossible de vivre sans oublier. Ou plus simplement encore, il y a un degrĂ© d’insomnie, de rumination, de sens historique qui nuit au vivant et qui finit par le dĂ©truire, qu’il s’agisse d’un homme, d’une nation ou d’une civilisation » Nietzsche, ConsidĂ©rations intempestives II, Aubier Montaigne, p. 207. ValĂ©ry de mĂȘme souligne la nocivitĂ© d’une certaine culture de la mĂ©moire et de l’histoire L’Histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait Ă©laborĂ©. Ses propriĂ©tĂ©s sont bien connues. Il fait rĂȘver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagĂšre leurs rĂ©flexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au dĂ©lire des grandeurs ou Ă , celui de la persĂ©cution, et rend les nations amĂšres, superbes, insupportables et vaines » Regards sur le monde actuel, 1945. Ainsi le temps qui passe apaise les douleurs, Ă©teint les regrets et les remords. Il guĂ©rit les plaies dit la sagesse des nations. III Le temps est ce qui fait que rien ne demeure identique Ă  soi. Tout devient. a Le temps est en ce sens l’ennemi intime de l’homme car celui-ci est habitĂ© par un dĂ©sir d’ĂȘtre ou d’éternitĂ©. F. AlquiĂ© a montrĂ© que ce dĂ©sir prend la forme d’un refus affectif du temps, Ă  l’Ɠuvre dans la passion Je jure de t’aimer Ă©ternellement » s’écrie Juliette, ou d’un refus intellectuel du temps qui est peut-ĂȘtre la vĂ©ritĂ© de la philosophie. Le penseur platonicien fuit les ombres mouvantes de la caverne pour viser l’horizon stable des essences Ă©ternelles. La pensĂ©e grecque oppose ainsi le monde de l’Etre au monde du devenir et enseigne que philosopher consiste Ă  mourir Ă  cette mort de tous les instants qu’est la vie selon le principe matĂ©riel. Par la pensĂ©e, l’homme se sent participer Ă  une dimension d’éternitĂ© l’arrachant au monde du pĂ©rissable, de la finitude et de la contingence, la vie spirituelle s'expĂ©rimentant comme une victoire de tous les instants sur la mort. Spinoza se fait l'Ă©cho de ce vĂ©cu L’esprit humain ne peut ĂȘtre absolument dĂ©truit avec les corps, mais il en subsiste quelque chose qui est Ă©ternel » Ethique, V, Prop. XXIII. Nous sentons et faisons l’épreuve que nous sommes Ă©ternels » Ibid, scolie. Parce que la vĂ©ritĂ© est Ă©trangĂšre au temps, la facultĂ© permettant de la penser s'Ă©prouve elle aussi hors du temps. b Pourtant si tout demeurait identique Ă  soi, l’Etre serait figĂ©. La diversitĂ©, le mouvement, la nouveautĂ©, en un mot la vie, serait immobilisĂ©e dans l’identitĂ© de la mort. Le temps est le cadre dans lequel se dĂ©ploie la richesse crĂ©atrice de la vie et surtout il est la condition de la libertĂ©. L’homme n’a pas d’ĂȘtre, il n’a pas la consistance ou la permanence d’une essence. Il se construit dans le temps. Le devenir est une durĂ©e concrĂšte oĂč s’interpĂ©nĂštrent le passĂ© et l’avenir et oĂč s’invente une personne en charge de son possible et toujours en situation de se faire autre que ce qu’elle a Ă©tĂ©. IV Victoire ultime de la mort. Le temps dĂ©truit tout. Le sage meurt aussi bien que le fou » se lamente l’EcclĂ©siaste et s’il est vrai que l’homme peut conquĂ©rir une immortalitĂ© relative en survivant dans la mĂ©moire des autres, nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles »ValĂ©ry, La Crise de l’esprit. a Cette conscience de l’éternelle caducitĂ© des choses peut ĂȘtre un principe de dĂ©couragement et de dĂ©sespoir. A quoi bon monter jusqu’au soir, poser sa pierre, construire puisqu’au bout du compte tous nos efforts seront rĂ©duits Ă  nĂ©ant ? Kierkegaard remarquait que L’idĂ©e de la mort amĂšne peut-ĂȘtre l’esprit plus profond Ă  un sentiment d’impuissance oĂč il succombe sans ressort » Sur une tombe, in L’existence, PUF, p. 213. C’est le sentiment de l’absurde et son effet dĂ©vastateur souvent. b Mais Ă  l’homme animĂ© de sĂ©rieux, la pensĂ©e de la mort donne l’exacte vitesse Ă  observer dans la vie, et elle lui indique le but oĂč diriger sa course. Et nul arc ne saurait ĂȘtre tendu ni communiquer Ă  la flĂšche sa vitesse comme la pensĂ©e de la mort stimule le vivant dont le sĂ©rieux tend l’énergie. Alors le sĂ©rieux s’empare de l’actuel aujourd’hui mĂȘme, il ne dĂ©daigne aucune tĂąche comme insignifiante ; il n’écarte aucun moment comme trop court ; il travaille de toutes ses forces Ă  plein rendement, prĂȘt cependant Ă  sourire de lui-mĂȘme si son effort se prĂ©tend mĂ©ritoire devant Dieu, et prĂȘt Ă  comprendre en son impuissance qu’un homme n’est rien et qu’en travaillant avec la derniĂšre Ă©nergie, l’on ne fait qu’obtenir la vĂ©ritable occasion de s’étonner de Dieu » Ibid. Peut-on dire de maniĂšre plus sublime que la mort est le stimulant de la vie et qu’il est possible de dĂ©finir une grandeur de l’homme absurde ? Si ce n’est pas celle que professe Kierkegaard, c’est Ă  coup sĂ»r celle de Camus pour qui la vie est un exercice de dĂ©tachement et de passion qui consomme la splendeur et l’inutilitĂ© d’une vie d’homme » Le mythe de Sisyphe 1942. Camus demande d’imaginer Sisyphe heureux. Je laisse Sisyphe au bas de la montagne ! On retrouve toujours son fardeau. Mais Sisyphe enseigne la fidĂ©litĂ© supĂ©rieure qui nie les dieux et soulĂšve les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers dĂ©sormais sans maĂźtre ne lui paraĂźt ni stĂ©rile, ni futile. Chacun des grains de cette pierre, chaque Ă©clat minĂ©ral de cette montagne pleine de nuit, Ă  lui seul forme un monde. La lutte vers les sommets suffit Ă  remplir un cƓur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux ». V DĂ©passement. Le temps, dont la nature est d’ailleurs pour nous une Ă©nigme, n’est en soi ni un alliĂ© ni un ennemi. Il est l’étoffe de notre existence dans la mesure oĂč la maniĂšre d’ĂȘtre fondamentale de l’existant est de se projeter vers ce qui n’est pas encore en se souvenant de ce qui fut. C’est que notre Ăąme est capable de distension, disait St Augustin, de rĂ©tention du passĂ©, de protention vers l’avenir et d’attention au prĂ©sent. Dans cette capacitĂ© se joue ce que le temps a de pire et de meilleur pour nous. Mais ce qui en dĂ©cide, c’est en dĂ©finitive notre maniĂšre d’ĂȘtre en situation par rapport Ă  lui. L’impatience du dĂ©sir voudrait le rĂ©trĂ©cir et pourtant il faut bien attendre que le sucre fonde. La nostalgie voudrait le retenir et pourtant inĂ©luctablement il nous Ă©loigne de ce qui fut. Son coefficient d’adversitĂ© ou de positivitĂ© n’est donc pas en lui, il est en nous car il dĂ©pend de notre folie ou de notre sagesse. Folie du dĂ©sir qui s’illimite, aspire Ă  l’éternitĂ©, refuse la loi du rĂ©el car en refusant le devenir, l’irrĂ©versibilitĂ©, la finitude, on se condamne Ă  consacrer son impuissance. La sagesse consiste Ă  comprendre qu’il n’y a d’ĂȘtre que de ce qui devient, que l’éternitĂ© dont nous faisons l’expĂ©rience en tant qu’ĂȘtres pensants est moins la preuve de notre appartenance Ă  l’intemporel qu’une production propre Ă  la temporalitĂ© elle-mĂȘme, qui serait capable, en l’ĂȘtre humain, de projeter l’horizon de son propre dĂ©passement » F Dastur, La mort, Essai sur la finitude, Hatier, p. 4. Il dĂ©pend donc de nous de faire de ce devenir le cadre de notre libertĂ©, de la crĂ©ation individuelle et collective, du courage d’affirmer, mĂȘme si c’est absurde, notre dignitĂ© d’homme et l’infinie reconnaissance d’avoir Ă©tĂ© jetĂ© dans le temps, un temps hors duquel nous ne serions sans doute rien. Conclusion La question Ă©tait de savoir si le temps est notre alliĂ© ou notre ennemi. Au terme de cette rĂ©flexion, on peut dire qu’il n’est par nature ni l’un ni l’autre. Il est ce que l’homme dĂ©cide qu’il soit. Partager Marqueursdevenir, Ă©ternitĂ©, ĂȘtre, existence, finitude, irrĂ©versibilitĂ©, justice, mort, pardon, regret, remords, responsabilitĂ©, ressentiment, temporalitĂ©, temps Ouvrage Vous autres, civilisations, savez maintenant que vous ĂȘtes mortelles. De la contre-utopie; Pages: 7 Ă  8; Collection: Études de littĂ©rature des xx e et xxi e siĂšcles, n° 96; Autres informations ⼟ ISBN: 6-9; ISSN: 2260-7498; DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-10756-9.p.0007; Éditeur: Classiques Garnier; Mise en ligne: 29
La longue, l’inĂ©puisable durĂ©e des civilisations Un texte classique de Fernand Braudel Fernand Braudel
 Ce texte est extrait de l’article de Fernand Braudel Histoire des Civilisations le passĂ© explique le prĂ©sent » publiĂ© en 1959 dans L’encyclopĂ©die française et repris en 1997 dans Les Ambitions de l’Histoire Paris, Éditions de Fallois, 1997. Ce que l’historien des civilisations peut affirmer, mieux qu’aucun autre, c’est que les civilisations sont des rĂ©alitĂ©s de trĂšs longue durĂ©e. Elles ne sont pas mortelles , Ă  l’échelle de notre vie individuelle surtout, malgrĂ© la phrase trop cĂ©lĂšbre de Paul ValĂ©ry. Je veux dire que les accidents mortels, s’ils existent et ils existent, bien entendu, et peuvent disloquer leurs constellations fondamentales les frappent infiniment moins souvent qu’on ne le pense. Dans bien des cas, il ne s’agit que de mises en sommeil. D’ordinaire, ne sont pĂ©rissables que leurs fleurs les plus exquises, leurs rĂ©ussites les plus rares, mais les racines profondes subsistent au-delĂ  de bien des ruptures, de bien des hivers. RĂ©alitĂ©s de longue, d’inĂ©puisable durĂ©e, les civilisations, sans fin rĂ©adaptĂ©es Ă  leur destin, dĂ©passent donc en longĂ©vitĂ© toutes les autres rĂ©alitĂ©s collectives; elles leur survivent. De mĂȘme que, dans l’espace, elles transgressent les limites des sociĂ©tĂ©s prĂ©cises qui baignent ainsi dans un monde rĂ©guliĂšrement plus vaste qu’elles-mĂȘmes et en reçoivent, sans toujours en ĂȘtre conscientes, une impulsion, des impulsions particuliĂšres, de mĂȘme s’affirme dans le temps, Ă  leur bĂ©nĂ©fice, un dĂ©passement que Toynbee a bien notĂ© et qui leur transmet d’étranges hĂ©ritages, incomprĂ©hensibles pour qui se contente d’observer, de connaĂźtre le prĂ©sent » au sens le plus Ă©troit. Autrement dit, les civilisations survivent aux bouleversements politiques, sociaux, Ă©conomiques, mĂȘme idĂ©ologiques que, d’ailleurs, elles commandent insidieusement, puissamment parfois. La RĂ©volution française n’est pas une coupure totale dans le destin de la civilisation française, ni la RĂ©volution de 1917 dans celui de la civilisation russe, que certains intitulent, pour l’élargir encore, la civilisation orthodoxe orientale. Je ne crois pas davantage, pour les civilisations s’entend, Ă  des ruptures ou Ă  des catastrophes sociales qui seraient irrĂ©mĂ©diables. Donc, ne disons pas trop vite, ou trop catĂ©goriquement, comme Charles Seignobos le soutenait un jour 1938 dans une discussion amicale avec l’auteur de ces lignes, qu’il n’y a pas de civilisation française sans une bourgeoisie, ce que Jean Cocteau traduit Ă  sa façon La bourgeoisie est la plus grande souche de France
 Il y a une maison, une lampe, une soupe, du feu, du vin, des pipes, derriĂšre toute oeuvre importante de chez nous. » Et cependant, comme les autres, la civilisation française peut, Ă  la rigueur, changer de support social, ou s’en crĂ©er un nouveau. En perdant telle bourgeoisie, elle peut mĂȘme en voir pousser une autre. Tout au plus changerait-elle, Ă  cette Ă©preuve, de couleur par rapport Ă  elle-mĂȘme, mais elle conserverait presque toutes ses nuances ou originalitĂ©s par rapport Ă  d’autres civilisations; elle persisterait, en somme, dans la plupart de ses vertus » et de ses erreurs ». Du moins, je l’imagine
 Aussi bien, pour qui prĂ©tend Ă  l’intelligence du monde actuel, Ă  plus forte raison pour qui prĂ©tend y insĂ©rer une action, c’est une tĂąche payante » que de savoir discerner, sur la carte du monde, les civilisations aujourd’hui en place, en fixer les limites, en dĂ©terminer les centres et pĂ©riphĂ©ries, les provinces et l’air qu’on y respire, les formes » particuliĂšres et gĂ©nĂ©rales qui y vivent et s’y associent. Sinon, que de dĂ©sastres ou de bĂ©vues en perspective! Dans cinquante, dans cent ans, voire dans deux ou trois siĂšcles, ces civilisations seront encore, selon toute vraisemblance, Ă  peu prĂšs Ă  la mĂȘme place sur la carte du monde, que les hasards de l’Histoire les aient, ou non, favorisĂ©es, toutes choses Ă©gales d’ailleurs, comme dit la sagesse des Ă©conomistes, et sauf Ă©videmment si l’humanitĂ©, entre-temps, ne s’est pas suicidĂ©e, comme malheureusement elle en a, dĂšs aujourd’hui, les moyens. Ainsi notre premier geste est de croire Ă  l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©, Ă  la diversitĂ© des civilisations du monde, Ă  la permanence, Ă  la survie de leurs personnages, ce qui revient Ă  placer au premier rang de l’actuel cette Ă©tude de rĂ©flexes acquis, d’attitudes sans grande souplesse, d’habitudes fermes, de goĂ»ts profonds qu’explique seule une histoire lente, ancienne, peu consciente tels ces antĂ©cĂ©dents que la psychanalyse place au plus profond des comportements de l’adulte. Il faudrait qu’on nous y intĂ©resse dĂšs l’école, mais chaque peuple prend trop de plaisir Ă  se considĂ©rer dans son propre miroir, Ă  l’exclusion des autres. En vĂ©ritĂ©, cette connaissance prĂ©cieuse reste assez peu commune. Elle obligerait Ă  considĂ©rer en dehors de la propagande, valable seulement, et encore, Ă  court terme tous les graves problĂšmes des relations culturelles, cette nĂ©cessitĂ© de trouver, de civilisation Ă  civilisation, des langages acceptables qui respectent et favorisent des positions diffĂ©rentes, peu rĂ©ductibles les unes aux autres. Et pourtant, tous les observateurs, tous les voyageurs, enthousiastes ou maussades, nous disent l’uniformisation grandissante du monde. DĂ©pĂȘchons-nous de voyager avant que la terre n’ait partout le mĂȘme visage! En apparence, il n’y a rien Ă  rĂ©pondre Ă  ces arguments. Hier, le monde abondait en pittoresque, en nuances; aujourd’hui toutes les villes, tous les peuples se ressemblent d’une certaine maniĂšre Rio de Janeiro est envahi depuis plus de vingt ans par les gratte-ciel; Moscou fait penser Ă  Chicago; partout des avions, des camions, des autos, des voies ferrĂ©es, des usines; les costumes locaux disparaissent, les uns aprĂšs les autres
 Cependant, n’est-ce pas commettre, au-delĂ  d’évidentes constatations, une sĂ©rie d’erreurs assez graves? Le monde d’hier avait dĂ©jĂ  ses uniformitĂ©s; la technique et c’est elle dont on voit partout le visage et la marque n’est assurĂ©ment qu’un Ă©lĂ©ment de la vie des hommes, et surtout, ne risquons-nous pas, une fois de plus, de confondre la et les civilisations ? La terre ne cesse de se rĂ©trĂ©cir et, plus que jamais, voilĂ  les hommes sous un mĂȘme toit » Toynbee, obligĂ©s de vivre ensemble, les uns sur les autres. A ces rapprochements, ils doivent de partager des biens, des outils, peut-ĂȘtre mĂȘme certains prĂ©jugĂ©s communs. Le progrĂšs technique a multipliĂ© les moyens au service des hommes. Partout la civilisation offre ses services, ses stocks, ses marchandises diverses. Elle les offre sans toujours les donner. Si nous avions sous les yeux une carte des rĂ©partitions des grosses usines, des hauts fourneaux, des centrales Ă©lectriques, demain des usines atomiques, ou encore une carte de la consommation dans le monde des produits modernes essentiels, nous n’aurions pas de peine Ă  constater que ces richesses et que ces outils sont trĂšs inĂ©galement rĂ©partis entre les diffĂ©rentes rĂ©gions de la terre. Il y a, ici, les pays industrialisĂ©s, et lĂ , les sous-dĂ©veloppĂ©s qui essaient de changer leur sort avec plus ou moins d’efficacitĂ©. La civilisation ne se distribue pas Ă©galement. Elle a rĂ©pandu des possibilitĂ©s, des promesses, elle suscite des convoitises, des ambitions. En vĂ©ritĂ©, une course s’est instaurĂ©e, elle aura ses vainqueurs, ses Ă©lĂšves moyens, ses perdants. En ouvrant l’éventail des possibilitĂ©s humaines, le progrĂšs a ainsi Ă©largi la gamme des diffĂ©rences. Tout le peloton se regrouperait si le progrĂšs faisait halte ce n’est pas l’impression qu’il donne. Seules, en fait, les civilisations et les Ă©conomies compĂ©titives sont dans la course. Bref, s’il y a, effectivement, une inflation de la civilisation, il serait puĂ©ril de la voir, au-delĂ  de son triomphe, Ă©liminant les civilisations diverses, ces vrais personnages, toujours en place et douĂ©s de longue vie. Ce sont eux qui, Ă  propos de progrĂšs, engagent la course, portent sur leurs Ă©paules l’effort Ă  accomplir, lui donnent, ou ne lui donnent pas un sens. Aucune civilisation ne dit non Ă  l’ensemble de ces biens nouveaux, mais chacune lui donne une signification particuliĂšre. Les gratte-ciel de Moscou ne sont pas les buildings de Chicago. Les fourneaux de fortune et les hauts fourneaux de la Chine populaire ne sont pas, malgrĂ© des ressemblances, les hauts fourneaux de notre Lorraine ou ceux du BrĂ©sil de Minas Gerais ou de Volta Redonda. Il y a le contexte humain, social, politique, voire mystique. L’outil, c’est beaucoup, mais l’ouvrier, c’est beaucoup aussi, et l’ouvrage, et le coeur que l’on y met, ou que l’on n’y met pas. Il faudrait ĂȘtre aveugle pour ne pas sentir le poids de cette transformation massive du monde, mais ce n’est pas une transformation omniprĂ©sente et, lĂ  oĂč elle s’accomplit, c’est sous des formes, avec une ampleur et une rĂ©sonance humaine rarement semblables. Autant dire que la technique n’est pas tout, ce qu’un vieux pays comme la France sait, trop bien sans doute. Le triomphe de la civilisation au singulier, ce n’est pas le dĂ©sastre des pluriels. Pluriels et singulier dialoguent, s’ajoutent et aussi se distinguent, parfois Ă  l’oeil nu, presque sans qu’il soit besoin d’ĂȘtre attentif. Sur les routes interminables et vides du Sud algĂ©rien, entre Laghouat et GhardaĂŻa, j’ai gardĂ© le souvenir de ce chauffeur arabe qui, aux heures prescrites, bloquant son autocar, abandonnait ses passagers Ă  leurs pensĂ©es et accomplissait, Ă  quelques mĂštres d’eux, ses priĂšres rituelles
 Ces images, et d’autres, ne valent pas comme une dĂ©monstration. Mais la vie est volontiers contradictoire le monde est violemment poussĂ© vers l’unitĂ©; en mĂȘme temps, il reste fondamentalement divisĂ©. Ainsi en Ă©tait-il hier dĂ©jĂ  unitĂ© et hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© cohabitaient vaille que vaille. Pour renverser le problĂšme un instant, signalons cette unitĂ© de jadis que tant d’observateurs nient aussi catĂ©goriquement qu’ils affirment l’unitĂ© d’aujourd’hui. Ils pensent qu’hier le monde Ă©tait divisĂ© contre lui-mĂȘme par l’immensitĂ© et la difficultĂ© des distances montagnes, dĂ©serts, Ă©tendues ocĂ©aniques, Ă©charpes forestiĂšres constituaient autant de barriĂšres rĂ©elles. Dans cet univers cloisonnĂ©, la civilisation Ă©tait forcĂ©ment diversitĂ©. Sans doute. Mais l’historien qui se retourne vers ces Ăąges rĂ©volus, s’il Ă©tend ses regards au monde entier, n’en perçoit pas moins des ressemblances Ă©tonnantes, des rythmes trĂšs analogues Ă  des milliers de lieues de distance. La Chine des Ming, si cruellement ouverte aux guerres d’Asie, est plus proche de la France des Valois, assurĂ©ment, que la Chine de Mao TsĂ©toung ne l’est de la France de la Ve RĂ©publique. N’oublions pas d’ailleurs que mĂȘme Ă  cette Ă©poque, les techniques voyagent. Les exemples seraient innombrables. Mais lĂ  n’est pas le grand ouvrier de l’uniformitĂ©. L’homme, en vĂ©ritĂ©, reste toujours prisonnier d’une limite, dont il ne s’évade guĂšre. Cette limite, variable dans le temps, elle est sensiblement la mĂȘme, d’un bout Ă  l’autre de la terre, et c’est elle qui marque de son sceau uniforme toutes les expĂ©riences humaines, quelle que soit l’époque considĂ©rĂ©e. Au Moyen Age, au XVIe siĂšcle encore, la mĂ©diocritĂ© des techniques, des outils, des machines, la raretĂ© des animaux domestiques ramĂšnent toute activitĂ© Ă  l’homme lui-mĂȘme, Ă  ses forces, Ă  son travail; or, l’homme, lui aussi, partout, est rare, fragile, de vie chĂ©tive et courte. Toutes les activitĂ©s, toutes les civilisations s’éploient ainsi dans un domaine Ă©troit de possibilitĂ©s. Ces contraintes enveloppent toute aventure, la restreignent Ă  l’avance, lui donnent, en profondeur, un air de parentĂ© Ă  travers espace et temps, car le temps fut lent Ă  dĂ©placer ces bornes. Justement, la rĂ©volution, le bouleversement essentiel du temps prĂ©sent, c’est l’éclatement de ces enveloppes » anciennes, de ces contraintes multiples. A ce bouleversement, rien n’échappe. C’est la nouvelle civilisation, et elle met Ă  l’épreuve toutes les civilisations. Mais entendons-nous sur cette expression le temps prĂ©sent. Ne le jugeons pas, ce prĂ©sent, Ă  l’échelle de nos vies individuelles, comme ces tranches journaliĂšres, si minces, insignifiantes, translucides, que reprĂ©sentent nos existences personnelles. A l’échelle des civilisations et mĂȘme de toutes les constructions collectives, c’est d’autres mesures qu’il faut se servir, pour les comprendre ou les saisir. Le prĂ©sent de la civilisation d’aujourd’hui est cette Ă©norme masse de temps dont l’aube se marquerait avec le XVIIIe siĂšcle et dont la nuit n’est pas encore proche. Vers 1750, le monde, avec ses multiples civilisations, s’est engagĂ© dans une sĂ©rie de bouleversements, de catastrophes en chaĂźne elles ne sont pas l’apanage de la seule civilisation occidentale. Nous y sommes encore, aujourd’hui. Cette rĂ©volution, ces troubles rĂ©pĂ©tĂ©s, repris, ce n’est pas seulement la rĂ©volution industrielle, c’est aussi une rĂ©volution scientifique mais qui ne touche qu’aux sciences objectives, d’oĂč un monde boiteux tant que les sciences de l’homme n’auront pas trouvĂ© leur vrai chemin d’efficacitĂ©, une rĂ©volution biologique enfin, aux causes multiples, mais au rĂ©sultat Ă©vident, toujours le mĂȘme une inondation humaine comme la planĂšte n’en a jamais vue. BientĂŽt trois milliards d’humains ils Ă©taient Ă  peine 300 millions en 1400. Si l’on ose parler de mouvement de l’Histoire, ce sera, ou jamais, Ă  propos de ces marĂ©es conjuguĂ©es, omniprĂ©sentes. La puissance matĂ©rielle de l’homme soulĂšve le monde, soulĂšve l’homme, l’arrache Ă  lui- mĂȘme, le pousse vers une vie inĂ©dite. Un historien habituĂ© Ă  une Ă©poque relativement proche le XVIe siĂšcle par exemple a le sentiment, dĂšs le XVIIIe, d’aborder une planĂšte nouvelle. Justement, les voyages aĂ©riens de l’actualitĂ© nous ont habituĂ©s Ă  l’idĂ©e fausse de limites infranchissables que l’on franchit un beau jour la limite de la vitesse du son, la limite d’un magnĂ©tisme terrestre qui envelopperait la Terre Ă  8 000 km de distance. De telles limites, peuplĂ©es de monstres, coupĂšrent hier, Ă  la fin du XVe siĂšcle, l’espace Ă  conquĂ©rir de l’Atlantique
 Or, tout se passe comme si l’humanitĂ©, sans s’en rendre compte toujours, avait franchi du XVIIIe siĂšcle Ă  nos jours une de ces zones difficiles, une de ces barriĂšres qui d’ailleurs se dressent encore devant elle, dans telle ou telle partie du monde. Ceylan vient seulement de connaĂźtre, avec les merveilles de la mĂ©decine, la rĂ©volution biologique qui bouleverse le monde, en somme la prolongation miraculeuse de la vie. Mais la chute du taux de natalitĂ©, qui accompagne gĂ©nĂ©ralement cette rĂ©volution, n’a pas encore touchĂ© l’üle, oĂč ce taux reste trĂšs haut, naturel, Ă  son maximum
 Ce phĂ©nomĂšne se retrouve dans maints pays, telle l’AlgĂ©rie. Aujourd’hui seulement, la Chine connaĂźt sa vĂ©ritable entrĂ©e, massive, dans la vie industrielle. La France s’y enfonce Ă  corps perdu. Est-il besoin de dire que ce temps nouveau rompt avec les vieux cycles et les traditionnelles habitudes de l’homme? Si je m’élĂšve si fortement contre les idĂ©es de Spengler ou de Toynbee, c’est qu’elles ramĂšnent obstinĂ©ment l’humanitĂ© Ă  ses heures anciennes, pĂ©rimĂ©es, au dĂ©jĂ  vu. Pour accepter que les civilisations d’aujourd’hui rĂ©pĂštent le cycle de celle des Incas, ou de telle autre, il faut avoir admis, au prĂ©alable, que ni la technique, ni l’économie, ni la dĂ©mographie n’ont grand-chose Ă  voir avec les civilisations. En fait, l’homme change d’allure. La civilisation, les civilisations, toutes nos activitĂ©s, les matĂ©rielles, les spirituelles, les intellectuelles, en sont affectĂ©es. Qui peut prĂ©voir ce que seront demain le travail de l’homme et son Ă©trange compagnon, le loisir de l’homme? Ce que sera sa religion, prise entre la tradition, l’idĂ©ologie, la raison ? Qui peut prĂ©voir ce que deviendront, au-delĂ  des formules actuelles, les explications de la science objective de demain, ou le visage que prendront les sciences humaines, dans l’enfance encore, aujourd’hui ? Dans le large prĂ©sent encore en devenir, une Ă©norme diffusion » est donc Ă  l’oeuvre. Elle ne brouille pas seulement le jeu ancien et calme des civilisations les unes par rapport aux autres; elle brouille le jeu de chacune par rapport Ă  elle-mĂȘme. Cette diffusion, nous l’appelons encore, dans notre orgueil d’Occidentaux, le rayonnement de notre civilisation sur le reste du monde. A peine peut-on excepter de ce rayonnement, Ă  dire d’expert, les indigĂšnes du centre de la Nouvelle-GuinĂ©e, ou ceux de l’Est himalayen. Mais cette diffusion en chaĂźne, si l’Occident en a Ă©tĂ© l’animateur, lui Ă©chappe dĂ©sormais, de toute Ă©vidence. Ces rĂ©volutions existent maintenant en dehors de nous. Elles sont la vague qui grossit dĂ©mesurĂ©ment la civilisation de base du monde. Le temps prĂ©sent, c’est avant tout cette inflation de la civilisation et, semble-t-il, la revanche, dont le terme ne s’aperçoit pas, du singulier sur le pluriel. Semble-t-il. Car je l’ai dĂ©jĂ  dit cette nouvelle contrainte ou cette nouvelle libĂ©ration, en tout cas cette nouvelle source de conflits et cette nĂ©cessitĂ© d’adaptations, si elles frappent le monde tout entier, y provoquent des mouvements trĂšs divers. On imagine sans peine les bouleversements que la brusque irruption de la technique et de toutes les accĂ©lĂ©rations qu’elle entraĂźne peut faire naĂźtre dans le jeu interne de chaque civilisation, Ă  l’intĂ©rieur de ses propres limites, matĂ©rielles ou spirituelles. Mais ce jeu n’est pas clair, il varie avec chaque civilisation, et chacune, vis-Ă -vis de lui, sans le vouloir, du fait de rĂ©alitĂ©s trĂšs anciennes et rĂ©sistantes parce qu’elles sont sa structure mĂȘme, chacune se trouve placĂ©e dans une position particuliĂšre. C’est du conflit ou de l’accord entre attitudes anciennes et nĂ©cessitĂ©s nouvelles, que chaque peuple fait journellement son destin, son actualitĂ© ». Quelles civilisations apprivoiseront, domestiqueront, humaniseront la machine et aussi ces techniques sociales dont parlait Karl Mannheim dans le pronostic lucide et sage, un peu triste, qu’il risquait en 1943, ces techniques sociales que nĂ©cessite et provoque le gouvernement des masses mais qui, dangereusement, augmentent le pouvoir de l’homme sur l’homme? Ces techniques seront-elles au service de minoritĂ©s, de technocrates, ou au service de tous et donc de la libertĂ©? Une lutte fĂ©roce, aveugle, est engagĂ©e sous divers noms, selon divers fronts, entre les civilisations et la civilisation. Il s’agit de dompter, de canaliser celle-ci, de lui imposer un humanisme neuf. Dans cette lutte d’une ampleur nouvelle il ne s’agit plus de remplacer d’un coup de pouce une aristocratie par une bourgeoisie, ou une bourgeoisie ancienne par une presque neuve, ou bien des peuples insupportables par un Empire sage et morose, ou bien une religion qui se dĂ©fendra toujours par une idĂ©ologie universelle , dans cette lutte sans prĂ©cĂ©dent, bien des structures culturelles peuvent craquer, et toutes Ă  la fois. Le trouble a gagnĂ© les grandes profondeurs et toutes les civilisations, les trĂšs vieilles ou plutĂŽt les trĂšs glorieuses, avec pignon sur les grandes avenues de l’Histoire, les plus modestes Ă©galement. De ce point de vue, le spectacle actuel le plus excitant pour l’esprit est sans doute celui des cultures en transit » de l’immense Afrique noire, entre le nouvel ocĂ©an Atlantique, le vieil ocĂ©an Indien, le trĂšs vieux Sahara et, vers le Sud, les masses primitives de la forĂȘt Ă©quatoriale. Cette Afrique noire a sans doute, pour tout ramener une fois de plus Ă  la diffusion, ratĂ© ses rapports anciens avec l’Égypte et avec la MĂ©diterranĂ©e. Vers l’ocĂ©an Indien se dressent de hautes montagnes. Quant Ă  l’Atlantique, il a Ă©tĂ© longtemps vide et il a fallu, aprĂšs le XVe siĂšcle, que l’immense Afrique basculĂąt vers lui pour accueillir ses dons et ses mĂ©faits. Mais aujourd’hui, il y a quelque chose de changĂ© dans l’Afrique noire c’est, tout Ă  la fois, l’intrusion des machines, la mise en place d’enseignements, la poussĂ©e de vraies villes, une moisson d’efforts passĂ©s et prĂ©sents, une occidentalisation qui a fait largement brĂšche, bien qu’elle n’ait certes pas pĂ©nĂ©trĂ© jusqu’aux moelles les ethnographes amoureux de l’Afrique noire, comme Marcel Griaule, le savent bien. Mais l’Afrique noire est devenue consciente d’elle-mĂȘme, de sa conduite, de ses possibilitĂ©s. Dans quelles conditions ce passage s’opĂšre-t-il, au prix de quelles souffrances, avec quelles joies aussi, vous le sauriez en vous y rendant. Au fait, si j’avais Ă  chercher une meilleure comprĂ©hension de ces difficiles Ă©volutions culturelles, au lieu de prendre comme champ de bataille les derniers jours de Byzance, je partirais vers l’Afrique noire. Avec enthousiasme. E n vĂ©ritĂ©, aurions-nous aujourd’hui besoin d’un nouveau, d’un troisiĂšme mot, en dehors de culture et de civilisation dont, les uns ou les autres, nous ne voulons plus faire une Ă©chelle des valeurs? En ce milieu du XXe siĂšcle, nous avons insidieusement besoin, comme le XVIIIe siĂšcle Ă  sa mi-course, d’un mot nouveau pour conjurer pĂ©rils et catastrophes possibles, dire nos espoirs tenaces. Georges Friedmann, et il n’est pas le seul, nous propose celui d’humanisme moderne. L’homme, la civilisation, doivent surmonter la sommation de la machine, mĂȘme de la machinerie l’automation qui risque de condamner l’homme aux loisirs forcĂ©s. Un humanisme, c’est une façon d’espĂ©rer, de vouloir que les hommes soient fraternels les uns Ă  l’égard des autres et que les civilisations, chacune pour son compte, et toutes ensemble, se sauvent et nous sauvent. C’est accepter, c’est souhaiter que les portes du prĂ©sent s’ouvrent largement sur l’avenir, au-delĂ  des faillites, des dĂ©clins, des catastrophes que prĂ©disent d’étranges prophĂštes les prophĂštes relĂšvent tous de la littĂ©rature noire. Le prĂ©sent ne saurait ĂȘtre cette ligne d’arrĂȘt que tous les siĂšcles, lourds d’éternelles tragĂ©dies, voient devant eux comme un obstacle, mais que l’espĂ©rance des hommes ne cesse, depuis qu’il y a des hommes, de franchir. © Le Temps stratĂ©gique, No 82, GenĂšve, juillet-aoĂ»t 1998 ADDENDA Sur Braudel Son premier mĂ©rite, c’est qu’il a vraiment compris qu’au vingtiĂšme siĂšcle, il fallait faire une histoire au-delĂ  de l’hexagone, au-delĂ  des problĂšmes français, qu’il fallait absolument percevoir les problĂšmes europĂ©ens et, pour reprendre une expression qui n’existait pas encore quand il a Ă©crit La MĂ©diterranĂ©e, les problĂšmes du tiers monde, et mĂȘme avoir une vision planĂ©taire. Sa vision mondiale de l’Histoire Je crois que son grand mĂ©rite a Ă©tĂ© de comprendre qu’il y avait une Ă©volution irrĂ©pressible, que personne ne pouvait contenir, pour sortir de cette espĂšce d’europĂ©o-centrisme qui avait fonctionnĂ© Ă  plein au XIXe siĂšcle et Ă  l’époque coloniale, et encore pendant la premiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle, et qu’il fallait dĂ©sormais avoir vraiment une vision mondiale de l’histoire. Son histoire Ă  plusieurs temps Son second mĂ©rite 
 a Ă©tĂ© de mettre en relation les Ă©vĂ©nements historiques et les Ă©vĂ©nements Ă  plus longue durĂ©e, disons les Ă©vĂ©nements anthropologiques, et ainsi de concevoir qu’il y a plusieurs temps dans l’histoire. Il y a un temps court, celui des Ă©vĂ©nements; cela ne correspond d’ailleurs pas du tout Ă  sa pensĂ©e de dire qu’il a rejetĂ© l’évĂ©nement, mais il a toujours considĂ©rĂ© qu’il fallait ĂȘtre capable d’aller plus loin que les Ă©vĂ©nements, de comprendre ce qui les provoquait, mĂȘme quand il s’agissait d’évĂ©nements aussi dramatiques que la RĂ©volution française par exemple. Et puis il y a ce qu’il a appelĂ© la longue durĂ©e et cela a Ă©tĂ© une idĂ©e trĂšs importante 
 Sa mise en scĂšne du social D’une façon plus gĂ©nĂ©rale, il a introduit non seulement l’histoire sociale mais le rĂŽle des sociĂ©tĂ©s dans l’histoire Ă©conomique. On avait tendance Ă  compartimenter les choses, avec, disons, une histoire des Ă©vĂ©nements, des gouvernements et des chancelleries; une histoire plus sociale et une histoire Ă©conomique, celle-ci tendant Ă  ĂȘtre en quelque sorte autonome par rapport aux autres, mĂȘme si on essayait d’en tirer des enseignements pour les deux autres. Je crois que Braudel a beaucoup veillĂ© Ă  introduire les changements sociaux, les modifications des sociĂ©tĂ©s, dans l’histoire Ă©conomique. » Pierre Daix, in Regards », Paris, No 7, novembre 1995, Ă  propos du livre qu’il venait d’écrire Braudel Paris, Flammarion, 1995. Ibn Khaldoun, prĂ©curseur mĂ©diĂ©val de l’histoire des civilisations Ibn Khaldoun 1331-1406, historien maghrĂ©bin, a Ă©tĂ© l’un des premiers thĂ©oriciens de l’histoire des civilisations. Arnold Toynbee dit de lui qu’il a conçu et formulĂ© une philosophie de l’Histoire qui est sans doute le plus grand travail qui ait jamais Ă©tĂ© créé par aucun esprit dans aucun temps et dans aucun pays. » VĂ©rifier les faits investiguer les causes » Dans la Muqadimma, introduction en trois volumes de son Kitab al-Ibar Histoire des Arabes, des Persans et des BerbĂšres, Ibn Khaldoun Ă©crit J’ai suivi un plan original pour Ă©crire l’Histoire et choisi une voie qui surprendra le lecteur, une marche et un systĂšme tout Ă  fait Ă  moi 
 en traitant de ce qui est relatif aux civilisations et Ă  l’établissement des villes ». Il est conscient que sa dĂ©marche novatrice qui rompt avec l’interprĂ©tation religieuse de l’histoire Les discours dans lesquels nous allons traiter de cette matiĂšre formeront une science nouvelle 
 C’est une science sui generis car elle a d’abord un objet spĂ©cial la civilisation et la sociĂ©tĂ© humaine, puis elle traite de plusieurs questions qui servent Ă  expliquer successivement les faits qui se rattachent Ă  l’essence mĂȘme de la sociĂ©tĂ©. Tel est le caractĂšre de toutes les sciences, tant celles qui s’appuient sur l’autoritĂ© que celles qui sont fondĂ©es sur la raison. » Tout au long de son oeuvre, il souligne la discipline Ă  laquelle doivent s’astreindre ceux qui exercent le mĂ©tier d’historien l’examen et la vĂ©rification des faits, l’investigation attentive des causes qui les ont produits, la connaissance profonde de la maniĂšre dont les Ă©vĂ©nements se sont passĂ©s et dont ils ont pris naissance. » Les empires durent environ 120 ans » Ibn Khaldoun n’a le loisir d’étudier que le monde arabo-musulman l’Andalousie, le Maghreb, le Machreq. C’est donc dans ce cadre limitĂ© qu’il Ă©labore sa thĂ©orie cyclique des civilisations rurales ou bĂ©douines umran badawi et urbaines umran hadari. Pour lui, les civilisations sont portĂ©es par des tribus qui fondent dynasties et empires. » Les empires ainsi que les hommes ont leur vie propre 
 Ils grandissent, ils arrivent Ă  l’ñge de maturitĂ©, puis ils commencent Ă  dĂ©cliner 
 En gĂ©nĂ©ral, la durĂ©e de vie [des empires] 
 ne dĂ©passe pas trois gĂ©nĂ©rations 120 ans environ. » Ibn Khaldoun, conseiller auprĂšs de deux sultans maghrĂ©bins, grand juge cadi au Caire, put observer de l’intĂ©rieur l’émergence du pouvoir politique et sa confrontation Ă  la durĂ©e historique. Ibn Khaldoun est considĂ©rĂ© comme l’un des fondateurs de la sociologie politique. Sources Discours sur l’histoire universelle Al Muqadimma, par Ibn Khaldoun, traduit de l’arabe par Vincent Monteil Paris/Arles, Sindbad/Actes Sud, 3e Ă©dition, 1997 et Ibn Khaldoun naissance de l’histoire, passĂ© du tiers monde, par Yves Lacoste Paris, François Maspero, 1978, rééditĂ© chez La DĂ©couverte, 1998. De quelques noms citĂ©s Georges Friedmann 1902-1977, philosophe français, est surtout connu pour ses travaux de sociologue du travail. ConsidĂ©rĂ© comme un des plus importants rĂ©novateurs français des sciences sociales de l’aprĂšs-guerre, il eut recours aux outils d’analyse marxistes pour observer les grands bouleversements Ă  l’oeuvre dans la sociĂ©tĂ© industrielle. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont TraitĂ© de sociologie du travail coauteur avec Pierre Naville, Paris, A. Colin, 1961-1962, Humanisme du travail et humanitĂ©s Paris, A. Colin, 1950, OĂč va le travail humain? Paris, Gallimard, 1970. Le bon vieux temps du Dakar-Djibouti Marcel Griaule 1898-1956, ethnologue français, fut engagĂ© dans de nombreuses recherches de terrain couvrant notamment l’Abyssinie, le Soudan français et le Tchad. Il fut Ă©galement Ă  la tĂȘte de la mission ethnographique Dakar-Djibouti 1931-1933 et titulaire en 1942 de la premiĂšre chaire d’ethnologie Ă  la Sorbonne. Auteur de nombreux ouvrages sur la mĂ©thode ethnographique, il s’est particuliĂšrement intĂ©ressĂ© Ă  l’ethnie Dogon Mali. Charles Seignobos 1854-1942 historien français, auteur en particulier d’une Histoire politique de l’Europe contemporaine 1897. ConsidĂ©rant que tout ce qui n’est pas prouvĂ© doit rester provisoirement douteux », Seignobos fut partisan d’une histoire superficielle et Ă©vĂ©nementielle. Cette vision positiviste » rencontra de vives contestations auprĂšs d’une nouvelle gĂ©nĂ©ration d’historiens pour qui la nĂ©cessitĂ© d’approfondir les phĂ©nomĂšnes devait permettre une comprĂ©hension plus globale de l’histoire. Une culture naĂźt au moment oĂč une grande Ăąme se rĂ©veille » Oswald Spengler, 1880-1936, philosophe allemand, est l’auteur du cĂ©lĂšbre DĂ©clin de l’Occident 1916-1920, ouvrage qui eut un Ă©cho Ă  la mesure de l’effondrement de l’empire allemand. Spengler expose dans son ouvrage une philosophie pessimiste de l’histoire, en opposition Ă  l’idĂ©ologie de progrĂšs dominant Ă  l’époque. Selon lui, l’Occident serait entrĂ© dĂšs les dĂ©buts du XXe siĂšcle dans sa phase de dĂ©clin. Au-delĂ , Spengler propose une thĂ©orie gĂ©nĂ©rale et cyclique des huit principales civilisations et des innombrables cultures du monde. Pour lui, il n’existe pas de sens gĂ©nĂ©ral de l’histoire juste des successions de cycles similaires au cycle biologique. Pour lui, les unitĂ©s de base de l’histoire sont les cultures dont il dit qu’elles sont de vĂ©ritables organismes vivants Une culture naĂźt au moment oĂč une grande Ăąme se rĂ©veille, se dĂ©tache de l’état psychique primaire d’éternelle enfance humaine, forme issue de l’informe, limite et caducitĂ© sorties de l’infini et de la durĂ©e. Elle croĂźt sur le sol d’un paysage exactement dĂ©limitable, auquel elle reste liĂ©e comme la plante. Une culture meurt quand l’ñme a rĂ©alisĂ© la somme entiĂšre de ses possibilitĂ©s, sous la forme de peuples, de langues, de doctrines religieuses, d’arts, d’États, de sciences, et qu’elle retourne ainsi Ă  l’état psychique primaire. » Le nazisme tenta de rĂ©cupĂ©rer les conceptions philosophiques de Spengler, puis finit par les critiquer. De l’action civilisatrice des minoritĂ©s crĂ©atrices » Arnold Toynbee 1889-1975, historien britannique, est l’auteur d’une somme monumentale, Study of History Étude de l’histoire, publiĂ©e en douze volumes entre 1934 et 1961. DĂ©nombrant 26 civilisations, il dĂ©veloppe une conception cyclique de leur Ă©volution. Pour lui, les civilisations naissent de l’action de minoritĂ©s crĂ©atrices » et passent toutes par des Ă©tapes de croissance, de rupture breakdown puis de dĂ©sintĂ©gration. Son oeuvre tĂ©moigne d’une vision non-europĂ©ocentrique de l’histoire. Paul ValĂ©ry 1871-1945, Ă©crivain français proche du poĂšte MallarmĂ©, entrĂ© en 1925 Ă  l’AcadĂ©mie française, est l’auteur d’une phrase cĂ©lĂšbre sur le destin des civilisations Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » VariĂ©tĂ© I, La crise de l’esprit, p. 1. Paris, Gallimard, 1978. Pour une histoire des civilisations Grammaire des civilisations, par Fernand Braudel. Paris, Arthaud, 1987. L’Histoire, un essai d’interprĂ©tation, par Arnold Toynbee version abrĂ©gĂ©e de A Study of History traduit de l’anglais par Elisabeth Julia. Paris, Gallimard, 1951. Le DĂ©clin de l’Occident, par Oswald Spengler traduit de l’allemand par M. Tazerout. Paris, 2 volumes, Gallimard, 1931-1933. Culture and History, prolegomena to the comparative study of civilizations, par Philip Bagby. Westport, Conn., Greenwood Press, 1976. Grandeur et dĂ©cadence des civilisations, par Shepard Bancroft Clough. Paris, Payot, 1954.
Linsoutenable lĂ©gĂšretĂ© de notre civilisation. Mag. 15/04/2020 | Ibrahim Tabet « Nous autres civilisations, nous savons maintenant . que nous sommes mortelles » Paul ValĂ©ry. La pandĂ©mie du coronavirus souligne non seulement “ l’insoutenable lĂ©gĂšretĂ© de l’ĂȘtre” mais de notre civilisation postmoderne et postindustrielle. Est-il concevable que, malgrĂ© les progrĂšs de 1La journĂ©e d’étude Ă  l’origine de cette publication Ă©tait consacrĂ©e Ă  une critique de la civilisation grĂ©co-romaine, comme modĂšle, implicite ou non, de toute civilisation. Ce qui impliquait en mĂȘme temps de rĂ©examiner cette notion de civilisation, utilisĂ©e aussi bien par les enseignants et chercheurs en sciences humaines et sociales – le fameux intitulĂ© langue et civilisation » des cursus – que par les mĂ©dias d’opinion, dont le fameux Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » de Paul ValĂ©ry, dans la Crise de l’esprit 1919, fut le prĂ©lude Ă©lĂ©gant Ă  The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order de Samuel P. Huntington paru en 1996. 2Il n’échappe Ă  personne qu’aujourd’hui employer le mot de civilisation dans l’espace mĂ©diatique est devenu problĂ©matique. On se souvient de Claude GuĂ©ant, alors ministre de l’IntĂ©rieur du gouvernement Fillon, le dimanche 5 fĂ©vrier 2012 dĂ©clarant que toutes les civilisations ne se valent pas », lors d’un Ă©niĂšme dĂ©bat mĂ©diatique sur le port du voile. Le Figaro avait alors demandĂ© Ă  quelques anthropologues pourquoi ce terme Ă©tait controversĂ© au point qu’ils Ă©vitaient soigneusement de l’utiliser depuis 50 ans et prĂ©fĂ©raient parler de cultures. François Flahault rĂ©pondit que ce terme [de culture] Ă©tait le plus appropriĂ© » pour dĂ©signer tout ce que les gĂ©nĂ©rations humaines se transmettent les unes aux autres de maniĂšre non biologique ». Pour Marc CrĂ©pon, le terme de civilisation Ă©tait difficilement dissociable des idĂ©ologies les plus meurtriĂšres du xxe siĂšcle qui avaient une idĂ©e trĂšs prĂ©cise de la hiĂ©rarchie des civilisations et de leur diffĂ©rence de valeur. » Alfred Grosser rĂ©pliquait Ă  Claude GuĂ©ant que son jugement de valeur qui laissait supposer des hiĂ©rarchies entre civilisations sous-entendait que la civilisation islamique est infĂ©rieure Ă  la civilisation française. Claude GuĂ©ant s’attaquait implicitement aux musulmans de France, mais la dĂ©fense de Grosser est dĂ©sastreuse il est impossible de comparer la civilisation française, nationale, Ă  une civilisation islamique, religieuse, en supposant que l’une et l’autre expressions recouvrent la moindre rĂ©alitĂ©. Maurice Godelier distinguait, Ă  son tour, culture et civilisation de la façon suivante Contrairement Ă  la culture », la civilisation » ne peut ĂȘtre pensĂ©e seule, car elle comporte toujours implicitement un jugement de valeur en opposition Ă  un autre, plus barbare ; par exemple, dans civilisation » il y a civis, c’est-Ă -dire citoyen. Il y a l’idĂ©e grecque et romaine que les civilisĂ©s sont ceux qui vivent dans les citĂ©s ou les États, par opposition aux barbares qui sont nomades ou paysans. 3Nous voici arrivĂ©s au cƓur de notre sujet. Civilisation, mot rĂ©cent en français il date du xviiie s., serait Ă  expliquer par son Ă©tymologie latine et donc par l’idĂ©ologie grĂ©co-romaine qui opposait la civilisation des cives urbains Ă  la barbarie des nomades. On ne reprochera pas Ă  Maurice Godelier harcelĂ© par un journaliste, ses approximations historiques ; on peut, au contraire, lui savoir grĂ© d’avoir rappelĂ© la place que la civilisation grĂ©co-romaine tient dans l’idĂ©ologie contemporaine. La notion de civilisation nous viendrait de l’AntiquitĂ©. Donc, pour certains, la civilisation grĂ©co-romaine serait au dĂ©but et Ă  l’origine de l’humanitĂ© civilisĂ©e, et pour d’autres, c’est d’elle que viendrait le narcissisme mĂ©prisant de la civilisation europĂ©enne. Les dĂ©buts de l’anthropologie moderne au xixe s. sont marquĂ©s par de tels jugements de valeur. Dans Ancient Society 1877, Lewis Morgan affirme que l’humanitĂ© Ă©volue en passant par trois stades successifs la sauvagerie, la barbarie et la civilisation. Les plus civilisĂ©s Ă©taient, selon lui, les AmĂ©ricains. Les EuropĂ©ens l’étaient moins car ils conservaient encore des vestiges fĂ©odaux. 4Ces commentaires autour de l’affaire GuĂ©ant » montrent que la notion de civilisation est aussi floue qu’explosive. Notion qui de loin semble Ă©vidente, la civilisation s’éparpille en sens divers quand on utilise le mot. Seul repĂšre solide, la rĂ©fĂ©rence Ă  l’AntiquitĂ©. Miracle grec ou pĂ©chĂ© originel, la civilisation grĂ©co-romaine surgit dĂšs qu’il est question de civilisation. 5Peut-on trouver Ă  la notion de civilisation un statut Ă©pistĂ©mologique ? N’est-elle pas dĂ©finitivement Ă©crasĂ©e sous ses origines grĂ©co-romaines ? La notion anthropologique de culture, prééminente depuis quelques dĂ©cennies, ne serait-elle pas d’un meilleur usage ? 1 F. A. Wolf, Darstellung der Althertumswissenschaft nach Begriff, Umfang, Zweck und Werth, Museum d ... 2 J. Assmann, Religion und Kulturelles GedĂ€chtnis. Zehn Studien, Munich, 2000 ; trad. anglaise Sta ... 3 C. Calame, Qu’est-ce que la Mythologie grecque ?, Paris, 2015. 4 Édition originale S. Freud, Das Unbehagen in der Kultur, Vienne, 1930. 6L’étude liminaire de Claude Calame, Civilisation et Kultur de Friedrich August Wolf Ă  Sigmund Freud », propose des rĂ©ponses Ă  ces questions. Chez Wolf, historien de la littĂ©rature antique initiateur de ce qui deviendra la Klassische Philologie, les Grecs se distinguent comme un peuple disposant d’une culture de l’esprit »1. Cette Kultur permet de diffĂ©rencier les Grecs, les Romains et leurs successeurs allemands des autres civilisations ». La culture grĂ©co-latine lui permet donc de classer les civilisations. De telles conceptions se retrouvent dans ce que Calame appelle de nouveaux avatars du “Grand partage” », chez un historien des religions contemporain comme J. Assman par exemple, qui produit une opposition entre civilisation religieuse de l’écrit et autres cultures religieuses orales2. Or, Calame montre que la religion des Grecs ne se laisse pas comprendre dans ce partage3. Des notions de Kultur/ civilisation » plus critiques pourraient guider la rĂ©flexion des anthropologues de l’antiquitĂ©, dans le sillage de celle que Freud a dĂ©veloppĂ©e dans son Malaise dans la civilisation, Ɠuvre sur laquelle revient Claude Calame4. On peut sans doute interroger la formation de l’individu dans la civilisation, c’est-Ă -dire Ă  travers des rĂ©seaux de sociabilitĂ© et de normes. Cela revient en fait Ă  penser des civilisations en leur donnant, au cas par cas, un statut Ă©pistĂ©mologique dans l’analyse des processus de fabrication de l’individu dans une collectivitĂ©. La civilisation, dont on prĂ©tend trouver la source dans l’antiquitĂ©, fausse donc profondĂ©ment la comprĂ©hension qu’on peut avoir de ces mĂȘmes mondes anciens. La notion, si l’on tient Ă  la conserver, ne pourrait ĂȘtre utile que dĂ©faite, vidĂ©e de son sens Ă©volutionniste, et resĂ©mantisĂ©e dans une perspective anthropologique. 5 Voir l’étymologie de civilisation » sur le site du CNRTL Centre National de Ressources Textuell ... 7Il fallait donc reprendre la question au dĂ©but et faire l’archĂ©ologie de la notion. Rappeler d’abord que la notion et le terme sont modernes, comme le dĂ©veloppe et le prĂ©cise Jan Blanc au dĂ©but de son article. Ce mot apparaĂźt pour la premiĂšre fois sous la plume du Marquis de Mirabeau, le pĂšre, en 17565. Il remplace civilitĂ©. Émile Benveniste Ă©crit 6 Émile Benveniste, ProblĂšmes de linguistique gĂ©nĂ©rale, I, Paris, 1966, p. 336-345. Pour Mirabeau, la civilisation est un procĂšs que l’on dĂ©nommait jusqu’alors police », un acte tendant Ă  rendre l’homme et la sociĂ©tĂ© plus policĂ©s », l’effort pour amener l’individu Ă  observer spontanĂ©ment les rĂšgles de la biensĂ©ance et pour transformer dans le sens d’une plus grande urbanitĂ© les mƓurs de la sociĂ©tĂ©6. 8L’EncyclopĂ©die offre un bon exemple de ce lien primordial de la notion de civilisation Ă  l’antiquitĂ©. Il n’y a encore que trĂšs peu d’occurrences du mot civilisation dans l’EncyclopĂ©die de Diderot et d’Alembert. Deux usages, au sens moderne, viennent Ă  l’occasion d’une rĂ©flexion sur les Vies de Plutarque, art. Vies » et Zones tempĂ©rĂ©es » rĂ©digĂ©s par Louis de Jaucourt. L’auteur Ă©grĂšne les hĂ©ros civilisateurs de la GrĂšce ancienne, Socrate, Solon, Lycurgue, etc. Il [Plutarque] me fait converser dĂ©licieusement dans ma retraite gaie, saine et solitaire, avec ces morts illustres, ces sages de l’antiquitĂ© rĂ©vĂ©rĂ©s comme des dieux, bienfaisans comme eux, hĂ©ros donnĂ©s Ă  l’humanitĂ© pour le bonheur des arts, des armes et de la civilisation. 9Benveniste prend acte que l’on passe d’une notion d’état, la police des mƓurs, Ă  une notion d’action la civilisation va avec l’idĂ©e de progrĂšs moral, technique ou autre. Il n’est pas Ă©tonnant que cette mutation ait eu lieu au xviiie s. et que la notion de civilisation s’installe largement au xixe et dĂ©but du xxe siĂšcle, en mĂȘme temps que la colonisation qui apportait aux sauvages » les bienfaits de la civilisation ». Les Grecs et les Romains n’ont rien Ă  voir avec ce mot qui ne correspond ni Ă  philanthropia, ni Ă  humanitas, ni Ă  cultus, et pas plus Ă  civilis. 10C’est pourquoi dans un premier temps nous avons demandĂ© Ă  plusieurs chercheurs de faire l’archĂ©ologie de la civilisation grĂ©co-romaine », telle que nous la connaissons aujourd’hui dans les ouvrages savants comme dans les jeux vidĂ©o. 11Blaise Dufal propose une enquĂȘte sur les usages historiographiques de la notion dans un article intitulĂ© Le fantasme de la perfection originelle. La GrĂšce antique comme matrice du modĂšle civilisationnel. » Dans les manuels d’histoire et ouvrages de vulgarisation et chez des classiques de l’historiographie française du xxe s., on voit que la civilisation », faute de dĂ©finition rigoureuse, n’est pas un concept scientifique. Elle produit une vision idĂ©ologique de la culture et de l’histoire, fondĂ©e sur un fantasme de la GrĂšce antique, idĂ©alisĂ©e depuis le xviiie s. Les Grecs de l’AntiquitĂ©, dont la modernitĂ© europĂ©enne se veut l’hĂ©ritiĂšre, seraient ainsi l’origine gĂ©niale et les exemples parfaits de la science, des arts et de la politique. 12Jan Blanc dĂ©place la question sur le terrain de l’histoire de l’art Ă  la pĂ©riode moderne. Il interroge le problĂšme de la civilisation grecque » chez Winckelman. Johann Joachim Winckelmann 1717-1768 est Ă  l’origine du miracle grec », cette vision de la civilisation grecque comme un Ăąge d’or politique, moral et artistique. Il parle certes d’AntiquitĂ© grecque et non de civilisation, le mot n’existe pas encore au sens moderne, mais les deux livres, qu’il a consacrĂ©s Ă  l’AntiquitĂ© grecque, l’étudient comme un monde dont il s’agit de rendre compte des grands principes Ă  travers l’étude de ses Ɠuvres d’art. C’est ainsi qu’il dĂ©crit la GrĂšce en faisant de sa supĂ©rioritĂ© artistique un a priori. Winckelmann commence Ă  Ă©crire sur l’art antique sans avoir vu la moindre statue. Ses Ă©crits sont et resteront des constructions imaginaires, dĂ©duites de cet a priori. La GrĂšce est pour lui un mythe. La GrĂšce est, pour Winckelmann, la seule civilisation qui, dans l’histoire, soit parvenue Ă  s’arracher Ă  la barbarie de la simple nature sans ĂȘtre touchĂ©e par la corruption des mƓurs, processus inhĂ©rent Ă  la culture. Mais ce miracle fut Ă©phĂ©mĂšre et a disparu Ă  jamais. AprĂšs la perfection de l’art classique au ve s., la GrĂšce a Ă©tĂ© entraĂźnĂ©e dans une dĂ©cadence irrĂ©versible. L’histoire de Winckelmann est donc tĂ©lĂ©ologique, parce qu’elle pose a priori la grandeur suprĂȘme de l’art grec. Mais elle est Ă©galement eschatologique, dans la mesure oĂč le grand style » est irrĂ©mĂ©diablement perdu. La civilisation grecque » n’est pas, pour lui, une pĂ©riode » de l’histoire mais, plutĂŽt, une utopie servant aux Modernes Ă  se raconter, en construisant, dans le temps et le passĂ©, l’origine d’une grandeur perdue dont ils ne peuvent nullement ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme les enfants ou les hĂ©ritiers, mais qu’ils doivent apprendre Ă  regretter. La civilisation grecque telle qu’elle est inventĂ©e par Winckelmann tient donc des deux acceptions modernes de cette notion. Celle d’un progrĂšs, mais qui n’est observable que dans les restes et les ruines du passĂ© et celle d’une dĂ©cadence inĂ©luctable. 13La culture ludique contemporaine permet aussi de voir le lien Ă©troit de l’antiquitĂ© Ă  la notion de civilisation. Dans Alexandre et Octavien contre Bismarck et Gengis Khan. Les usages problĂ©matiques de l’AntiquitĂ© grĂ©co-romaine dans l’univers ludique de Civilization », Emmanuelle Valette s’intĂ©resse au jeu vidĂ©o Ă  succĂšs Civilization, rééditĂ© et amĂ©liorĂ© plusieurs fois depuis 1991 jusqu’à son ultime version de 2016. La durĂ©e de son succĂšs international en fait un bon tĂ©moin de certaines idĂ©es populaires contemporaines sur la notion de civilisation. Le joueur peut choisir de dĂ©velopper une civilisation, dont les critĂšres de dĂ©finition sont d’ailleurs problĂ©matiques, parmi plusieurs, sans hiĂ©rarchie a priori entre elles. Au centre du jeu, il y a l’habiletĂ© du joueur et sa capacitĂ© Ă  faire Ă©voluer sa civilisation. La victoire viendra de l’inventivitĂ© technique qu’il aura su insuffler Ă  celle qu’il aura prise en main. Le cours du jeu suit un Ă©volutionnisme et un ethnocentrisme dĂ©complexĂ©s » puisqu’une civilisation avance vers la domination mondiale Ă  coup d’inventions technologiques successives, en construisant aussi de fortes et grandes citĂ©s. Si toutes les civilisations sont ainsi calquĂ©es sur un modĂšle occidental, les mondes anciens ont toutefois un lien encore plus Ă©troit Ă  La civilisation. Les civilisations antiques apparaissent comme originelles » et sont permanentes dans l’offre du jeu, comme incontournables, alors que d’autres Iroquois, Zoulous
 sont des options qui disparaissent ou reparaissent au fil des versions. La GrĂšce et Rome disposent aussi d’un certain nombre de traits spĂ©cifiques et d’atouts technologiques discrets qui en font des civilisations d’élection pour les habituĂ©s. Par ailleurs la culture antique irrigue l’ensemble du processus d’évolution inventive les atouts culturels les merveilles » du monde par exemple et les innovations que peut dĂ©velopper telle ou telle civilisation choisie par le gamer » sont souvent pensĂ©s en rĂ©fĂ©rence aux langues ou cultures grecques et romaines. L’antiquitĂ© proposĂ©e n’est donc pas un monde ludique comme un autre ou un simple facteur d’exotisme elle est essentielle Ă  l’imaginaire de la civilisation elle-mĂȘme. 14La civilisation grĂ©co-romaine aurait le privilĂšge d’ĂȘtre la civilisation par excellence parce quelle aurait civilisĂ© l’humanitĂ©, en ayant inventĂ© des formes culturelles devenues le patrimoine de l’humanitĂ©, parce qu’elle aurait anticipĂ© sur la modernitĂ©. Ces inventions » jusqu’à celle de la notion mĂȘme d’ invention », sont en fait des inventions de notre modernitĂ©, comme le montrent les cinq analyses suivantes. 15Certains termes grecs prĂ©sents dans les langues modernes sont des catalyseurs d’imaginaire ; tel est le cas de l’enthousiasme », comme le montre Michel Briand, dans son article L’invention de l’enthousiasme poĂ©tique ». L’enthousiasme poĂ©tique est une invention moderne, crĂ©ant une illusion rĂ©trospective. Les modernes, qui opposent improvisation inspirĂ©e et technique d’écriture, attribuent aux poĂštes grecs archaĂŻques et classiques un rapport privilĂ©giĂ© avec le divin, l’inspiration ; ils auraient chantĂ©, possĂ©dĂ©s par une fureur mystique le dieu Ă©tait en eux ». Or pour les Grecs les aĂšdes Ă©taient Ă  la fois aimĂ©s des Muses et artisans de vers. Une archĂ©ologie des mots enthĂ©os, enthousiasmos, s’imposait. L’enquĂȘte philologique montre que le sens d’enthĂ©os n’est pas celui qu’une tradition Ă©tymologique lui donne, par une interprĂ©tation possessive – locative de l’adjectif enthĂ©os. L’adjectif enthĂ©os peut ĂȘtre l’équivalent emphatique de theios, et signifier trĂšs divin ». L’inspiration poĂ©tique sous l’effet de l’intĂ©riorisation d’un souffle transcendant, par laquelle le poĂšte-prophĂšte a un dieu en lui », vient relu par l’antiquitĂ© tardive et certains modernes directement de Platon, qui a comme souvent jouĂ© avec les mots et rapprochĂ© mantis la divination de mania la folie et inventĂ© une figure du poĂ©te-prophĂšte inspirĂ©. Cette inspiration prophĂ©tique rĂ©interprĂ©tĂ©e par les nĂ©o-platoniciens se retrouve chez certains mystiques chrĂ©tiens ou au contraire chez certains critiques du paganisme. La reconstruction moderne de l’inspiration grecque oppose Ă©criture et oralitĂ© comme une alternative radicale, projetant sur l’histoire de la poĂ©sie grecque le grand partage constitutif de la modernitĂ© depuis l’ñge romantique. 16La notion de personne charrie avec elle tout un imaginaire occidental philosophique, juridique et religieux du progrĂšs de la conscience. Florence Dupont en critique la prĂ©tendue invention par les Romains. Cette idĂ©e souvent reprise a notamment Ă©tĂ© soutenue par M. Mauss dans Une catĂ©gorie de l’esprit humain la notion de personne ». Or, le raisonnement de Mauss n’est pas une dĂ©monstration scientifique et repose sur une pensĂ©e a priori de la place dominante de Rome dans la civilisation occidentale. Sous l’apparence d’une enquĂȘte portant sur des faits sociaux, juridiques, et religieux, c’est en fait principalement l’hypothĂšse d’une Ă©volution sĂ©mantique du mot persona qui sous-tend l’exposĂ© de Mauss le masque rituel » archaĂŻque des ancĂȘtres deviendrait la personne juridique » du droit romain, dĂ©finitivement inventĂ©e Ă  la pĂ©riode classique. Le savant superpose en fait, dans un coup de force sĂ©mantique », les sens d’imago et de persona il n’y a aucune raison probante de penser que la persona Ă©tait un masque rituel d’ancĂȘtre au mĂȘme titre que l’imago. Quant Ă  la notion juridique de persona, elle ne renvoie pas non plus Ă  un ensemble de droits liĂ©s Ă  la personne », mais plutĂŽt Ă  un rĂŽle temporaire pris dans un procĂšs. La personne » ne se trouve donc pas dĂ©jĂ  dans la persona, et la dynamique historique d’une invention romaine de la personne voulue par Mauss disparaĂźt du mĂȘme coup. D’autres stratĂ©gies pour sauver l’invention de la personne se laissent voir l’essentialisation de la notion avant toute enquĂȘte philologique prĂ©alable ou encore l’utilisation de catĂ©gories modernes prĂ©construites. Elles ne laissent pas de surprendre chez un savant de cette ampleur. Quelles sont les causes possibles de ce discours fictionnel sur l’ invention » antique, dans le contexte de travail qui a Ă©tĂ© celui de l’ethnologue ? En posant cette question Florence Dupont ouvre la voie Ă  une critique pragmatique du recours Ă  la notion d’invention chez les antiquisants. 17L’histoire de la mĂ©decine n’est pas avare non plus d’ inventions », et les Grecs, avec leur lĂ©gendaire figure d’Hippocrate, ont une large part dans ce grand rĂ©cit, comme cherche Ă  le montrer Vivien Longhi dans un article intitulĂ© Hippocrate a-t-il inventĂ© la mĂ©decine d’observation ? ». Les traitĂ©s de la mĂ©decine hippocratique », par exemple ÉpidĂ©mies I-III et Pronostic, prĂ©sentent des relevĂ©s de signes pathologiques apparemment scrupuleux, oĂč le corps malade serait dotĂ© de sens par un mĂ©decin expert du pronostic. Au xviiie s., mĂ©decins et professeurs y voient les fondements de leur mĂ©decine d’observation, fille de la clinique, alors qu’il s’agit de textes largement spĂ©culatifs. Une approche pragmatique du regard mĂ©dical ancien dĂ©gagerait pourtant la mĂ©decine grecque mĂȘme, travestie par la notion moderne d’observation. 18Dans le domaine de l’histoire littĂ©raire s’érigent et pĂšsent encore sur les Grecs d’autres inventions ». Marie Saint-Martin, dans son article intitulĂ© L’invention de la tragĂ©die selon Pierre Brumoy de quelques piĂšges du relativisme » s’intĂ©resse aux rĂ©flexions modernes de P. Brumoy sur la tragĂ©die 1730. La recherche des inventeurs » du théùtre classique conduit l’auteur Ă  un certain nombre d’apories ou de thĂšses paradoxales. Eschyle et HomĂšre sont aussi bien l’un que l’autre considĂ©rĂ©s comme ses inventeurs. Les auteurs Ă©piques et tragiques grecs semblent avoir toujours Ă©tĂ© aristotĂ©liciens. Si les Grecs ainsi compris sont Ă  l’origine du théùtre classique, comment expliquer alors que leurs piĂšces ne soient plus apprĂ©ciĂ©es sur la scĂšne française ? La force originelle crĂ©atrice des anciens doit ĂȘtre reprise, cultivĂ©e et amendĂ©e par les modernes. Conserver les beautĂ©s universelles des anciens, mais en gommant et lissant leur barbarie et leur brutalitĂ©. Il faut une civilisation de la civilisation premiĂšre, pourrait-on dire en jouant sur les mots. AprĂšs ce travail de polissage le lien doit se rĂ©tablir entre la civilisation grecque et les nations policĂ©es, au premier chef desquelles la nation française. L’histoire de l’invention » de la tragĂ©die par les Anciens sert donc Ă  unir entre elles des nations culturellement supĂ©rieures. 19La notion mĂȘme d’invention finit par poser problĂšme, d’autant qu’elle reste utilisĂ©e chez ceux-lĂ  mĂȘmes qui sembleraient devoir la contester, comme le montre Anne-Gabrielle Wersinger dans L’invention de l’invention archĂ©ologie ou idĂ©ologie ? ». 20En sciences humaines, on constate l’inflation des titres mentionnant le mot ambigu d’invention. Et mĂȘme si l’anthropologie prĂ©tend en avoir fini avec les inventeurs grecs » et l’archĂ©ologie du Miracle grec », Gernet et Vernant ne se sont pas entiĂšrement dĂ©faits d’une interprĂ©tation dĂ©miurgique et progressiste de l’histoire. Et malgrĂ© l’autorĂ©fĂ©rentialitĂ© de l’anthropologie de Loraux ou Detienne, la critique des idĂ©ologies » rĂ©siste mal au paradigme promĂ©thĂ©en de l’innovation, qui s’impose dans l’institution de la recherche contemporaine. 21Cette derniĂšre Ă©tude notamment, en Ă©pilogue provisoire des prĂ©cĂ©dentes, montre qu’il reste Ă  repĂ©rer explicitement d’autres inventions », qui seraient Ă  soumettre Ă  une gĂ©nĂ©alogie philologique, Ă©pistĂ©mologique, historiographique, critique, en mĂȘme temps qu’à l’étude prĂ©cise de leurs usages idĂ©ologiques les plus contemporains. C’est Ă  une rĂ©flexion gĂ©nĂ©rale qu’on invite ici, sur le rĂŽle accordĂ©, voire imposĂ©, aux rĂ©fĂ©rences antiques, en particulier aux notions et catĂ©gories, comme celles de civilisation et d’invention, dans les sciences humaines et sociales, et d’autre part sur la valeur de critique radicale que peut avoir l’étude mĂȘme de l’AntiquitĂ©, pour nos catĂ©gories contemporaines les plus Ă©videntes.
Commenous vivons nous-mĂȘmes dans un monde en proie Ă  toutes les menaces et que, comme le disait si bien ValĂ©ry, "nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles
Une entrevue de Paul-Marie CoĂ»teaux. La pensĂ©e chrĂ©tienne, une rĂ©volution pour chaque vie. L’abbĂ© de TanouĂ€rn joue un rĂŽle important dans la vie religieuse, mais aussi politique, deux domaines qu’il ne sĂ©pare jamais, tenant qu’il n’y a pas de religion sans dimension politique et moins encore de politique qui vaille sans un constant souci religieux, comme il le montre Ă  la tĂȘte du mensuel Monde & Vie, multipliant aussi les ouvrages, confĂ©rences et enseignements. Car ce trĂšs actif prĂȘtre catholique est d’abord un thĂ©ologien, et un philosophe qui montre ici, en retraçant pas Ă  pas son parcours original admirateur de Mgr Lefebvre, il fut ordonnĂ© prĂȘtre de la FraternitĂ© Sacerdotale Saint Pie X Ă  EcĂŽne avant de revenir dans le giron de Rome, que la foi, voix du cƓur, est aussi une oeuvre de l’esprit, une construction intellectuelle de chaque jour qui rĂ©volutionne toute vie.
Et un jour, lorsque les mots « faim » ou « sourire » seront les siens, l’homme se distancie et de la faim ou de la satisfaction qu’il ressent et de la mĂšre, qui le nourrit. Ils sont autres, l’autre. Ainsi, la parole de la mĂšre a sĂ©parĂ© l’adulte qu’il est de sa contiguĂŻtĂ© et de sa continuitĂ©, avec son monde. Pour que quelqu’un existe, il faut lui parler, le dĂ©signer par Cette Ă©mission a Ă©tĂ© diffusĂ©e pour la premiĂšre fois le 22 septembre 2020. Pendant plus de trente ans, le photographe franco-tchĂšque Josef Koudelka a sillonnĂ© 200 sites archĂ©ologiques du pourtour mĂ©diterranĂ©en, dont il a tirĂ© des centaines de photographies panoramiques en noir et blanc. La BnF expose un ensemble inĂ©dit de 110 tirages exceptionnels intitulĂ© Ruines », rĂ©vĂ©lant toute la force et la beautĂ© du lexique visuel d’un des derniers grands maĂźtres de la photographie moderne. Projet sans Ă©quivalent dans l’histoire de la photographie, la sĂ©rie Ruines est le rĂ©sultat d’un travail personnel au cours duquel Josef Koudelka a parcouru dix-neuf pays pour photographier les hauts lieux de la culture grecque et latine, berceaux de notre civilisation. De la France Ă  la Syrie, en passant par le Maroc, la Sicile, la GrĂšce ou la Turquie, ce sont 110 immenses photographies panoramiques en noir et blanc, jamais montrĂ©es jusqu’ici, qui livrent le regard de Koudelka sur la beautĂ© chaotique des ruines, vestiges de monuments transformĂ©s par le temps, la nature, la main de l’homme et les dĂ©sastres de l’Histoire. Koudelka ne souhaite pas immortaliser les ruines antiques, les figer dans une vision romantique, mais au contraire revenir encore et toujours sur les mĂȘmes lieux pour en enregistrer les Ă©volutions liĂ©es au passage destructeur du temps et des hommes, de la nature qui reprend ses droits. Ces paysages sont une ode aux ruines de la Mare Nostrum et nous interpellent sur la nĂ©cessitĂ© de sauvegarder l’hĂ©ritage de cette civilisation – dont certaines des traces photographiĂ©es par Koudelka ont aujourd’hui disparu, comme Ă  Palmyre. Ce qui l’anime, c’est la recherche de la beautĂ©, une beautĂ© qui Ă  l’instar de celle des ruines antiques, rĂ©siste. L'entretien analyse de la ruine par l'historien Johann ChapoutotPour mieux comprendre les diffĂ©rents enjeux et significations que contiennent les ruines des civilisations passĂ©es, Marie Sorbier fait appel Ă  Johann Chapoutot, professeur d'histoire contemporaine Ă  la Sorbonne, et auteur, entre autres, de l'article Comment meurt un empire, oĂč la ruine est analysĂ©e non plus comme ce qui reste d'une Ă©poque, mais comme le manifeste dĂ©libĂ©rĂ© de ce qu'une civilisation veut faire perdurer d'elle-mĂȘme dans les mĂ©moires historiques. La thĂ©orie de la valeur des ruines ThĂ©orie conçue par Albert Speer, premier architecte du TroisiĂšme Reich Ă  partir de 1933, son idĂ©e centrale selon laquelle un bĂątiment doit se survivre par ses ruines avait grandement sĂ©duit Hitler. "Ce qui intĂ©ressait Hitler, c'Ă©tait non seulement de crĂ©er un empire romain renouvelĂ© avec le TroisiĂšme Reich, mais aussi une mĂ©moire de l'empire aprĂšs la disparition de celui-ci. Il fallait donc que les ruines du Reich ressemblassent Ă  celle de la Rome antique. Le but Ă©tait moins de crĂ©er un Reich effectif que la mythologie du Reich aprĂšs sa disparition. C'est trĂšs intĂ©ressant car cela nous indique toute l'importance de la ruine en Occident et dans la culture occidentale." Johann Chapoutot L'architecture nĂ©oclassique, langue de l'impĂ©rialitĂ© "Quand on veut faire empire, il faut parler la langue de l'impĂ©rialitĂ©. Cette langue, c'est l'architecture nĂ©oclassique, inspirĂ©e de l'architecture grĂ©co-romaine, et c'est aussi la langue des ruines. Le plus grand et prestigieux des empires, l'Empire romain, n'est plus visible et prĂ©sent que par le squelette blanchi de ses ruines." Johann Chapoutot La photographie un nouveau rapport au patrimoine "Prosper MĂ©rimĂ©e disait qu'il y avait plus pĂ©renne que le monument la photographie. La photographie a rĂ©volutionnĂ© notre rapport au patrimoine en permettant d'en fixer la trace, et c'est ce qu'a voulu faire Koudelka. On observe d'ailleurs qu'il est passĂ© du reportage de guerre Ă  la photographie des ruines au dĂ©but des annĂ©es 1990, donc prĂ©cisĂ©ment lorsque l'empire qu'il avait lui-mĂȘme connu, le bloc soviĂ©tique, s'est effondrĂ©. Ce monde-lĂ  disparaissait, et, en quĂȘte de repĂšres, Koudelka s'est mis en quĂȘte de quelque chose de plus pĂ©renne et solide que ce qu'il avait connu." Johann Chapoutot Quelles seraient les ruines du monde contemporain ?"On constate que certains Ă©difice ont Ă©tĂ© construits pour faire date et pour faire trace. Pour ĂȘtre des monuments de notre civilisation dans une visĂ©e mĂ©morielle tout Ă  fait explicite. Mais ce Ă  quoi on peut rĂ©ellement penser pour tĂ©moigner de notre civilisation occidentale, ce sont les bĂątiments les plus solides, ceux faits de pierre. Ce sont les Ă©difices du 19Ăšme siĂšcle et de la mutation urbaine qu'incarnait la deuxiĂšme moitiĂ© de ce siĂšcle. C'est une Europe sĂ»re d'elle-mĂȘme et dominatrice, qui prĂ©tendait incarner la civilisation et coloniser le monde, forte de son commerce, de son industrie, de ses armĂ©es et de sa science. Elle prĂ©tendait Ă  une domination Ă©ternelle, jusqu'au grand effondrement civilisationnel qu'a reprĂ©sentĂ© la PremiĂšre Guerre Mondiale. Guerre mondiale qu'un autre grand amateur de ruines et de monde mĂ©diterranĂ©en, Paul ValĂ©ry, avait dit "Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles". Johann Chapoutot Surles pas de Paul ValĂ©ry -"nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles"-, RĂ©gis Debray prend la civilisation occidentale comme objet d'Ă©tude. Non pas pour une grande fresque historique et transversale mais pour l'Ă©tude des germes de sa croissance sur la terre d'AmĂ©rique, de ses cousinages et mĂ©tissages avec l'Europe, et de son retour, que certains TLFi AcadĂ©mie9e Ă©dition AcadĂ©mie8e Ă©dition AcadĂ©mie4e Ă©dition BDLPFrancophonie BHVFattestations DMF1330 - 1500 MORTEL, -ELLE, adj. et − Adj. et − Adj. Qui est sujet Ă  la [En parlant d'un ĂȘtre vivant gĂ©n. un homme] Il y avoit lĂ  devant nous une crĂ©ature mortelle, convaincue de notre immortalitĂ© StaĂ«l,Allemagne, 1810, connais, monsieur, toute l'Ă©tendue de la perte que vous avez faite; mais, enfin, nous sommes tous mortels Jouy,Hermite, 1814, L'homme vint le dernier des animaux, parent de tous, et proche de quelques-uns. Les termes dont on le dĂ©signe encore aujourd'hui marquent son origine on l'appelle humain et mortel. A. France,Vie fleur, 1922, [P. mĂ©ton.]− [En parlant du corps de l'homme] Cette fiĂšvre qui ... gonflait Ă  la briser chaque veine, et dissĂ©quait chaque point de ce corps mortel en des millions de souffrances Dumas pĂšre, Monte-Cristo, 1846, ces griffes lĂ©gĂšres que la moindre douleur imprime sur un visage mortel Mauriac,Journal 1, 1934, [P. oppos. Ă  la partie immatĂ©rielle de l'homme l'Ăąme, l'esprit]RELIG. Corps mortel, chair mortelle. Et, maudissant Don Juan, lui jeta bas Son corps mortel, mais son Ăąme, non pas! Verlaine, ƒuvres compl., Jadis, 1884, DĂ©pouille mortelle, restes mortels. Cadavre. PrĂȘt Ă  dĂ©poser sa dĂ©pouille mortelle dans la terre Ă©trangĂšre Chateaubr.,MĂ©m., 1848, char emportant au PĂšre-Lachaise les restes mortels de Charles Hugo Verlaine, ƒuvres compl., Vingt-sept biogr. E. de Goncourt, 1896, sa dĂ©pouille, son enveloppe mortelle. Mourir. Quand l'Ăąme aura quittĂ© son enveloppe mortelle Maine de Biran,Journal, 1815, [P. oppos. Ă  des ĂȘtres immatĂ©riels dieux, anges] Si les anges daignoient revĂȘtir une forme mortelle pour apparoĂźtre aux hommes, ce seroit sous les traits de Maria Genlis,Chev. Cygne, 1795, est vrai qu'un vers d'HomĂšre ait subitement douĂ© Phidias du sentiment de la majestĂ© des dieux, lui ait appris Ă  la reprĂ©senter vivante Ă  des regards mortels Dusaulx,Voy. BarĂšge, 1796, race mortelle. La race humaine. Je veux ĂȘtre par toi prĂ©sent et favorable Ă  la race mortelle ValĂ©ry,VariĂ©tĂ© III, 1936, [En parlant de la condition de l'Homme] Existence, vie mortelle. Qu'il Ă©toit Ă©tonnant d'oser trouver des conformitĂ©s entre nos jours mortels et les Ă©ternels destins du maĂźtre du monde! Chateaubr.,GĂ©nie, jeudi. Ascension − Quelle belle fin de la vie mortelle de Notre-Seigneur JĂ©sus-Christ! Dupanloup,Journal, 1851, Par lĂ , la phrase de Vinteuil avait, comme tel thĂšme de Tristan par exemple, qui nous reprĂ©sente aussi une certaine acquisition sentimentale, Ă©pousĂ© notre condition mortelle, pris quelque chose d'humain qui Ă©tait assez touchant. Proust,Swann, 1913, Au fig. [En parlant d'un inanimĂ©] Qui peut pĂ©rir, disparaĂźtre. Il y avait tout l'amour dans leurs sourires mais ce n'Ă©tait qu'un pauvre amour mortel Beauvoir,Tous les hommes mort., 1946, Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles; nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d'empires coulĂ©s Ă  pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins descendus au fond inexplorable des siĂšcles... ValĂ©ry,VariĂ©tĂ© III, 1936, − Subst. Être LittĂ©r. Ranime-toi, foible mortel, Ă  ce spectacle actif de la nature Saint-Martin,Homme dĂ©sir, 1790, Quelle est cette Ă©toile qui file, Qui file, file, et disparaĂźt? − Mon enfant, un mortel expire; Son Ă©toile tombe Ă  l'instant. BĂ©ranger,Chans., 1829, Audacieux, aveugle, chĂ©tif, faible, grossier, humble, insensible, fortunĂ©, malheureux, misĂ©rable, pauvre, perfide, vil [En constr. dans des loc. figĂ©es]♩ Une simple mortelle. Une personne comme les autres. AprĂšs tout, Marie n'avait-elle pas Ă©tĂ© une simple mortelle, une faible femme qui avait connu toutes les misĂšres de la vie Montalembert,Ste Élisabeth, 1836, Un heureux mortel. Une personne qui a de la chance. Je vous fĂ©licite, mon cher, vous ĂȘtes un heureux mortel Taine,Notes Paris, 1867, Les mortels. L'ensemble des humains, l'humanitĂ©. La lumiĂšre du jour si chĂšre aux mortels Chateaubr.,Martyrs, 1810, Le commun des mortels. Le plus grand nombre des hommes. M. Godeau ne pouvait plus respirer l'air du commun des mortels qui lui Ă©tait dĂ©parti Jouhandeau,M. Godeau, 1926, − AdjectifA. − Qui cause la mort. J'ai eu la bĂȘtise de consulter un mĂ©decin ... et bien entendu il m'a trouvĂ© trois ou quatre maladies mortelles MĂ©rimĂ©e,Lettres ctessede Montijo, 1841, Quelle, et si fine, et si mortelle, Que soit ta pointe, blonde abeille, Je n'ai, sur ma tendre corbeille, JetĂ© qu'un songe de dentelle. ValĂ©ry,Charmes, 1922, Être mortel Ă , pour qqn, qqc. L'heure oĂč l'ombre est mortelle Au voyageur suant qui s'arrĂȘte sous elle Barbier,Ïambes, 1840, Accident, breuvage, choc, combat, coup, danger, mal, pĂ©ril mortel; balle, blessure, dose, Ă©manation, maladie, menace, morsure, plaie mortelle.♩ Proverbe. Plaie d'argent n'est pas mortelle. Plaie d'argent n'est pas mortelle, dit-on; mais ces plaies-lĂ  ne peuvent pas avoir d'autre mĂ©decin que le malade Balzac,Illus. perdues, 1843, RELIG. CATHOL. PĂ©chĂ© mortel. PĂ©chĂ© qui enlĂšve Ă  l'Ăąme la grĂące de la vie Ă©ternelle. Ils communient tous les dimanches! Je vous garantis qu'ils n'accepteraient pas de vivre en Ă©tat de pĂ©chĂ© mortel Beauvoir,MĂ©m. j. fille, 1958, − P. hyperb. [CaractĂ©risant un subst. avec une valeur intensive]1. Qui est pĂ©nible, dĂ©sagrĂ©able ou ennuyeux Ă  mourir.− [Le subst. dĂ©signe des circonstances, un Ă©vĂ©nement auquel une pers. est confrontĂ©e] Il y a de cette ville Ă  cette autre dix mortelles lieues heures, deux heures mortelles pour le pauvre amoureux se passĂšrent ainsi, sans que M. MĂŒller vĂźnt Ă  bout de trouver l'Ă©tymologie de ranunculus Karr,Sous tilleuls, 1832, n'est pas de sa faute si je n'ai pas encore pris mal. Elle Ă©tablit dans les wagons des courants d'air mortels Mauriac,GĂ©nitrix, 1923, [Le subst. dĂ©signe le sentiment Ă©prouvĂ© face Ă  un Ă©vĂ©nement pĂ©nible ou ennuyeux] Puisque nous voici ensemble, ma chĂšre, dit-il en s'asseyant sur le sofa, au mortel dĂ©plaisir de Valentine, je suis rĂ©solu de vous entretenir d'une affaire assez importante Sand,Valentine, 1832, DaĂŻdha!!!» s'Ă©cria la foule... C'Ă©tait elle. Qui, sous l'horrible poids d'une angoisse mortelle, Au vague bruit d'enfants, par son coeur entendu, Était sortie au jour Ă  ses pas dĂ©fendu... Lamart.,Chute, 1838, DĂ©goĂ»t, ennui mortel; inquiĂ©tude, tristesse [En parlant d'un sentiment hostile] Qui est si aigu qu'il pourrait ĂȘtre homicide. Antipathie mortelle; ressentiment mortel. En butte Ă  la haine mortelle de ces hommes dont il dĂ©nonçait les crimes Clemenceau,Vers rĂ©paration, 1899, Ennemi mortel. Personne qui en hait une autre ou qui en est profondĂ©ment haĂŻe. Chacun y eĂ»t gardĂ© la parole pendant vingt minutes et fĂ»t restĂ© l'ennemi mortel de son antagoniste dans la discussion Stendhal,Souv. Ă©gotisme, 1832, Qui Ă©voque la mort, qui a les caractĂ©ristiques propres Ă  la mort. À ces mots, une pĂąleur mortelle couvrit le visage de Corinne StaĂ«l,Corinne, 1807, n'entendais aucun bruit. Ce silence mortel finit par m'effrayer si bien que je me levai sur la pointe des pieds nus et marchai vers la clartĂ© Duhamel,Notaire Havre, 1933, et Orth. [mɔ ʀtΔl]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. Sens passif sujet Ă  la mort» 1. fin xes. om mortal Passion, Ă©d. D'Arco Silvio Avalle, 339; ca 1160 subst. plusor mortal Eneas, 2285 ds 2. ca 1050 la mortel vithe St Alexis, Ă©d. Chr. Storey, 63; 3. 1269-78 richeces mortex Jean de Meun, Rose, Ă©d. F. Lecoy, 5227. B. Sens actif 1. ca 1100 qui souhaite la mort, qui porte la mort» sun mortel enemi Roland, Ă©d. J. BĂ©dier, 461; ca 1120-50 mortel serpent [Satan] Grant mal fist Adam, I, 2 ds 1155 mortel tirant Wace, Brut, 6131, ibid.; 2. ca 1100 une mortel bataille Roland, 658; id. mortel rage ibid., 747; 1155 mortel hĂ€ine Wace, op. cit., 14410, ibid. 1erquart xiiies. relig. chrĂ©t. pekiĂ© mortal Renclus de Molliens, Miserere, 71, 1, ibid.; 3. 1572 mortel poison Amyot, Hommes illustres, PompĂ©e, 50, Ă©d. GĂ©rard-Walter, ds ƒuvres. C. de mort, concernant la mort» 1130-40 cri mortel Geoffroi Gaimar, Estoire des Engleis, Ă©d. A. Bell, 4421 Li reis criad un cri mortel, L'aneme s'en vait ...; 1174-87 lit mortel ChrĂ©tien de Troyes, Perceval, Ă©d. F. Lecoy, 4816. Empr. au lat. mortalis sujet Ă  la mort, pĂ©rissable; humain, mortel; des mortels» − subst. ĂȘtre humain» − ; mortel, qui donne la mort», spĂ©c. mortale crimen, mortalia delicta pĂ©chĂ© mortel» dans la lang. chrĂ©t. FrĂ©q. abs. littĂ©r. 3398. FrĂ©q. rel. littĂ©r. xixes. a 7739, b 4143; xxes. a 3901, b 3280. Bbg. Henning Mortel, ange et dĂ©mon. Mod. Lang. Notes. 1938,
8 Vers une civilisation planĂ©taire. Nous savons dĂ©sormais que les civilisations naissent, croissent, vieillissent, et meurent. Et comme le disait fort justement ValĂ©ry, «Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». C’est une rĂ©alitĂ© qui semble inĂ©luctable. Cependant, en ce dĂ©but de XXIĂšmesiĂšcle
Paul ValĂ©ry - "Oeuvres, tome 1", Ed PlĂ©iade, 1957, pp991-2, in "Essais quasi-politiques", La crise de l'espritTete coupee, moine et trois esprits Odilon Redon, 1878 - La faille humaine se montre nue La civilisation europĂ©enne d'avant 1914 Ă©tait dĂ©jĂ  atteinte par la crise de l'esprit une culture aussi dissonante et hĂ©tĂ©rogĂšne ne pouvait subsister La faille humaine se montre nue Pour l'acquĂ©rir, cliquez sur le livre Il s'agit du texte fameux de Paul ValĂ©ry qui commence par la phrase "Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles". Le texte a Ă©tĂ© Ă©crit en 1919, la civilisation dont il s'agit est celle de l'Europe. Nous, ce sont les modernes, et maintenant, c'est ce qui vient aprĂšs la guerre de 14. Que s'est-il passĂ©? Nos immenses navires chargĂ©s de richesse et d'esprit ont fait naufrage. PhĂ©nomĂšnes extraordinaires, rĂ©alisations brusques, dĂ©ceptions brutales. L'Ăąme europĂ©enne, formĂ©e de milliers de penseurs diffĂ©rents, agonise. Crise militaire, Ă©conomique et surtout intellectuelle. La connaissance est impuissante, la science est dĂ©shonorĂ©e, les croyances sont confondues et mĂȘme les sceptiques sont dĂ©sarçonnĂ©s. Les lampes les mieux suspendues sont renversĂ©es. Comment saisir cette crise? Quel est son vĂ©ritable point, sa phase? Qu'est-ce qui caractĂ©rise cette modernitĂ©? Le dĂ©sordre. La culture europĂ©enne est une mixture d'idĂ©es dissemblables et de principes opposĂ©s. Des millions de spectres y coexistent. L'idĂ©e de culture et d'intelligence est pour nous en relation avec l'idĂ©e d'Europe. Tout ou presque en est venu. Mais cette inĂ©galitĂ© par rapport au reste du monde devra se changer en son contraire, car l'Europe est peu peuplĂ©e, et les grands nombres finiront par prĂ©valoir. L'esprit europĂ©en est-il totalement diffusible? Avons-nous quelque libertĂ© contre cette conjuration menaçante? En 1933, ValĂ©ry fait remarquer que la crise de l'esprit se gĂ©nĂ©ralise. MĂȘme la science a renoncĂ© Ă  l'idĂ©al d'unification. Les croyances s'effondrent. La sensibilitĂ© s'Ă©tiole. Des moyens puissants de symbolisation et de graphie rapide tendent Ă  supprimer l'effort de raisonner. Les superstitions se rĂ©pandent. Avec des jouets comme l'automobile, la TSF et le cinĂ©ma, le monde est de plus en plus futile. Nous obĂ©issons au tĂ©lĂ©phone, aux horaires de travail et de transport, aux commandements de l'hygiĂšne et de l'orthographe. La mode entretient une police de l'imitation. Nous avons perdu le loisir de mĂ»rir des oeuvres comparables Ă  celles des siĂšcles passĂ©s. Nous ne croyons plus dans le jugement de la postĂ©ritĂ©. Au total, nous entrons dans l'avenir Ă  reculons. Il est devenu de plus en plus dangereux d'essayer de prĂ©voir l'avenir Ă  partir du passĂ© rĂ©cent le genre humain s'est engagĂ© dans une aventure extraordinaire, mais oĂč le conduit-elle?
Introduction: « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». Cette phrase cĂ©lĂšbre, rĂ©digĂ©e par Paul ValĂ©ry en 1919 figure dans un essai, publiĂ© Ă  la NFR, Ă©tant intitulĂ© La crise de L’Esprit, qui par ailleurs sert de dĂ©but de phrase Ă  son texte philosophique VariĂ©tĂ© I. La date indiquĂ©e nous indique dĂ©jĂ  le contexte histoire, nous sommes Ă 
Il est plus facile de faire la guerre que la paix. »2633 1841-1929, Discours de Verdun, 14 juillet 1919 Discours de paix posthume, Georges Clemenceau. Le vieil homme est devenu le Perd la Victoire » piĂštre nĂ©gociateur au traitĂ© de Versailles signĂ© le 28 juin, il a laissĂ© l’Anglais Lloyd George et l’AmĂ©ricain Wilson l’emporter sur presque tous les points. Et il ne sera pas prĂ©sident de la RĂ©publique, l’AssemblĂ©e prĂ©fĂ©rant voter en 1920 pour un homme qui ne lui portera pas ombrage, paroles de Clemenceau sont prophĂ©tiques d’une autre rĂ©alitĂ© L’Allemagne, vaincue, humiliĂ©e, dĂ©sarmĂ©e, amputĂ©e, condamnĂ©e Ă  payer Ă  la France pendant une gĂ©nĂ©ration au moins le tribut des rĂ©parations, semblait avoir tout perdu. Elle gardait l’essentiel, la puissance politique, gĂ©nĂ©ratrice de toutes les autres » Pierre Gaxotte, Histoire des Français. À l’issue d’une longue guerre nationale, la victoire bouleverse comme la dĂ©faite. »2617 LĂ©on BLUM 1872-1950, A l’échelle humaine 1945 Texte Ă©crit en 1941 par le leader socialiste, en internement administratif.Au lendemain de 1918, l’humiliation de 1871 est vengĂ©e, le pays est vainqueur, de nouveau entier, mais exsangue, dĂ©vastĂ©, divisĂ©, moralement bouleversĂ© aprĂšs l’épreuve. Cette guerre a coĂ»tĂ© trĂšs cher en hommes, en argent, et la France ne s’en remettra pas, avant la prochaine guerre. Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. »2618 Paul VALÉRY 1871-1945, La Crise de l’esprit 1919 L’angoisse de l’intellectuel dĂ©passe l’horizon d’un aprĂšs-guerre et d’un pays. ValĂ©ry, l’un des esprits les plus lucides de l’époque, dĂšs la paix revenue, lance ce cri d’alarme Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’empires coulĂ©s Ă  pic avec tous leurs hommes et leurs engins ; descendus au fond inexplorable des siĂšcles avec leurs dieux et leurs lois, leurs acadĂ©mies et leurs sciences [
] Mais ces naufrages, aprĂšs tout, n’étaient pas notre affaire. Élam, Ninive, Babylone Ă©taient de beaux noms vagues [
] Et nous voyons maintenant que l’abĂźme de l’histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la mĂȘme fragilitĂ© qu’une vie. » Il y eut quelque chose d’effrĂ©nĂ©, une fiĂšvre de dĂ©pense, de jouissance et d’entreprise, une intolĂ©rance de toute rĂšgle, un besoin de nouveautĂ© allant jusqu’à l’aberration, un besoin de libertĂ© allant jusqu’à la dĂ©pravation. »2631 LĂ©on BLUM 1872-1950, À l’échelle humaine 1945 Socialiste tĂ©moin de son temps, il Ă©voque le bouleversement moral qui suit la PremiĂšre Guerre mondiale. Le jazz entre en scĂšne. Le tango chavire les corps. Le charleston fait rage. Les dancings font fortune. Les artistes se doivent d’ĂȘtre anarchistes, dadaĂŻstes, bientĂŽt surrĂ©alistes. Les femmes ont l’air de garçons. C’est bien parce que c’est mal ; c’est mal parce que c’est bien. » Pour une minoritĂ© privilĂ©giĂ©e, c’est le dĂ©but des AnnĂ©es folles ». Foch commande Ă  toutes les armĂ©es de l’univers. »2632 Maurice BARRÈS 1862-1923, 14 juillet 1919 Histoire de la France les temps nouveaux, de 1852 Ă  nos jours 1971, Georges Duby Les chefs des armĂ©es alliĂ©es et les reprĂ©sentants des troupes combattantes dĂ©filent sur les Champs-ÉlysĂ©es, le jour de la fĂȘte nationale. Pour les nationalistes qui ont ardemment parlĂ© revanche, prĂȘchĂ© le patriotisme et prĂŽnĂ© l’Union sacrĂ©e, le jour de gloire est vraiment arrivĂ© pour la France dont le prestige international est immense. C’est plus vrai encore pour cet Ă©crivain et politicien, nĂ© lorrain quand la Lorraine Ă©tait encore française. L’Allemagne paiera. »2635 Axiome lancĂ© aprĂšs la Grande Guerre Histoire de l’Europe au XXe siĂšcle de 1918 Ă  1945 1995, Jean Guiffan, Jean Ruhlmann Le Bloc national a fondĂ© sa campagne sur ce slogan, pour les lĂ©gislatives du 16 novembre 1919. C’est aussi la rĂ©ponse de Clemenceau, chef du gouvernement, interpellĂ© sur les difficultĂ©s de la reconstruction. Klotz, son ministre des Finances, confirme L’Allemagne paiera. » Et jusqu’au dernier penny ! », renchĂ©rit Lloyd George, le Premier ministre anglais, poussĂ© par son opinion paiera, oui, mais mal. Le montant des rĂ©parations, fixĂ© Ă  85,8 milliards de francs pour la France se rĂ©duit Ă  5 milliards – Ă©talĂ©s dans le temps. Mais l’axiome va justifier les prodigalitĂ©s financiĂšres du Bloc national issu des Ă©lections. Comptant sur ces rĂ©parations, l’État multiplie les dĂ©penses publiques financĂ©es par l’emprunt au lieu de l’impĂŽt. D’oĂč l’inflation prix multipliĂ©s par 6,5 de 1914 Ă  1928 ! Clemenceau avait raison Il est plus facile de faire la guerre que la paix. » La PremiĂšre Guerre Mondiale en citations Prologue la Grande Guerre, C’est la plus monumentale Ăąnerie que le monde ait jamais faite. » EntrĂ©e en guerre La mobilisation n’est pas la guerre. » Verdun et PĂ©tain Courage ! On les aura ! » Clemenceau La guerre ! C’est une chose trop grave pour la confier Ă  des militaires. » Victoire L’Allemagne peut ĂȘtre battue
 » À ce rythme - 4 citations par jour - les 10 Chroniques de l’Histoire en citations sont Ă  vous dans trois ans. Encore trois ans et vous aurez aussi le Dictionnaire. Mais que de temps perdu ! Faites un tour dans la Boutique, feuilletez les 20 premiĂšres pages de chaque volume et voyez si ça vaut le coĂ»t 4 € le volume. Alorsmoi, je viens chanter en chƓur avec vous sur l’air de La Mort des Autres, que vous affectionnez tant. En ce sens, et puisqu’elle semble ne pas vouloir se retirer, et chante Ă  tue-tĂȘte depuis l’annĂ©e 2019 et chantera encore en 2022, la pandĂ©mie en cours ne change pas la civilisation humaine, mais la conforte, la renforce. CHRISTELLE ENAULT SĂ©ries d'Ă©tĂ© Les religions ne meurent jamais vraiment PubliĂ© le 22 aoĂ»t 2021 Ă  01h54 - Mis Ă  jour le 24 aoĂ»t 2021 Ă  15h41 RĂ©servĂ© Ă  nos abonnĂ©s RĂ©cit Les religions ne meurent jamais vraiment » 1/6. A l’instar des civilisations, l’histoire regorge d’exemples de cultes autrefois tout puissants puis rĂ©duits Ă  nĂ©ant. Mais le phĂ©nomĂšne religieux semble, lui, toujours bien vivant. Egypte, Egypte, il ne restera de tes pratiques religieuses que des histoires et, pour tes descendants, elles seront sans crĂ©dibilitĂ©. » Cette prophĂ©tie consignĂ©e dans l’AsclĂ©pius latin – un manuscrit rĂ©digĂ© aux alentours du IVe siĂšcle, Ă  l’époque oĂč l’Egypte se trouvait sous la domination de Rome – annonce en rĂ©alitĂ©, avec une implacable luciditĂ©, le devenir tragique de la plupart des religions. Alors qu’elles se prĂ©sentent comme dĂ©positaires de l’éternitĂ© des mondes, elles ne sont pourtant pas Ă©ternelles. Paul ValĂ©ry l’écrivait au sortir de la premiĂšre guerre mondiale Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Nous sentons qu’une civilisation a la mĂȘme fragilitĂ© qu’une vie. » Telle est la leçon de l’histoire mĂȘme les empires les plus puissants – celui des Perses, celui des Romains – n’ont su rĂ©sister aux assauts ou Ă  l’usure du temps. Lire le reportage En Iran, sur les traces de l’Empire perse Ce constat peut bien sĂ»r s’appliquer aux religions. A ce titre, exhumer la mĂ©moire des croyances tombĂ©es dans les oubliettes de l’humanitĂ© rĂ©sonne comme une invitation Ă  questionner nos propres certitudes. A l’époque de Babylone la superbe, joyau du dieu Mardouk, qui aurait devinĂ© que cette merveille du monde deviendrait la grande prostituĂ©e » de l’Apocalypse de Jean ? Et, Ă  l’époque oĂč le paganisme Ă©tait la religion officielle d’un Empire romain triomphant, qui aurait pariĂ© sur son interdiction prochaine, au profit du christianisme jadis assimilĂ© Ă  une subversive superstition ? Lire aussi Paul Veyne Constantin, l'inventeur de la chrĂ©tientĂ© De fait, chaque croyant pense que sa religion ne va jamais mourir, qu’elle va durer pour toujours, que ce sont les religions des autres qui vont disparaĂźtre », relĂšve l’historienne Anne Morelli, qui a codirigĂ©, avec Jeffrey Tyssens, un ouvrage sur ce thĂšme Quand une religion se termine
 Facteurs politiques et sociaux de la disparition des religions, EME Editions, 312 pages, 31 euros. Or, poursuit la professeure honoraire Ă  l’UniversitĂ© libre de Bruxelles, la religion est un phĂ©nomĂšne vivant. A ce titre, elle a naturellement une naissance, une phase d’épanouissement et une fin. Lorsque le dĂ©clin se manifeste, des mĂ©canismes communs sont gĂ©nĂ©ralement Ă  l’Ɠuvre ». DiscrĂšte rĂ©sistance Parmi eux, le politique joue un rĂŽle prĂ©pondĂ©rant. Il est bien Ă©vident que lorsqu’il dĂ©cide de faire du christianisme sa religion personnelle, en 312, l’empereur Constantin change drastiquement le cours de l’histoire. Un des principes pouvant expliquer la disparition d’une religion, processus complexe et multifactoriel, rĂ©side dans l’installation d’un nouveau mouvement qui tient progressivement lieu de pĂŽle religieux de rĂ©fĂ©rence », analyse Vincent Mahieu, docteur en histoire des religions, dans le mĂȘme livre. Les hommes se convertissent, les bĂątiments Ă©galement. C’est ainsi que le PanthĂ©on de Rome, dĂ©diĂ© autrefois Ă  toutes les divinitĂ©s paĂŻennes, devient chrĂ©tien. Il vous reste de cet article Ă  lire. La suite est rĂ©servĂ©e aux abonnĂ©s. Cettecitation de Paul ValĂ©ry : Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. , fait partie des plus belles citations et pensĂ©es que nous vous proposons de Paul ValĂ©ry . Vous pouvez consulter les meilleures citations de Paul ValĂ©ry ainsi que les plus belles pensĂ©es attribuĂ©es Ă  Paul ValĂ©ry. Sujets d'ordre bibliographique regroupĂ©s ici Livre sur la dynastie des Lagides Citer SalmanasarConnaissez-vous un livre qui traite de la dynastie des Lagides ? Citer ClioDELLA MONICA , Madeleine Les derniers pharaons Maisonneuve & Larose vous le conseille le plus prĂ©cis en français Ă  ma connaissance. -Qui et/ou que lire sur l'Egypte ancienne ?Citer Louis-AugusteDĂ©sireux d'Ă©toffer mes biens maigres connaissances sur la civilisation de l'Egypte ancienne, je fais appel Ă  vous pour me donner les "auteurs-rĂ©fĂ©rence", les historiens de la pĂ©riode, reconnus pour leur sĂ©rieux, leur connaissance profonde de cette civilisation, leur finesse d'analyse...etc. Alors, qui faut-il absolument lire sur l'Egypte ? Citer KittenJe ne saurais pas vous donner de rĂ©fĂ©rences prĂ©cises car je ne possĂšde aucun ouvrage relatif Ă  la Civilisation Ă©gyptienne en gĂ©nĂ©ral. Comme d'habitude, mes livres concernent les souveraines, et si jamais vous ĂȘtes amenĂ© Ă  vous y intĂ©resser on ne sait jamais je vous recommande les Ă©tudes suivantes, trĂšs sĂ©rieuses et trĂšs complĂštes, Ă©crites par les plus grands auteurs Nefertari, l'aimĂ©e de Mout de Christian Leblanc biographies trĂšs recherchĂ©es sur les Ă©pouses, filles et fils de RamsĂšs II La reine mystĂ©rieuse de Christiane Desroches-Noblecourt retrace la vie passionnante de la reine-pharaon. III de AgnĂšs Cabrol contient non seulement la biographie de ce pharaon, mais aussi celles de son pĂšre, sa mĂšre, ses frĂšres, ses soeurs, sa Grande Epouse, ses concubines, ses fils, ses filles. et Akhenaton de Christian Leblanc toute l'histoire de ce couple plus que cĂ©lĂšbre. A ne pas ce, si vous ne vous intĂ©ressez pas vraiment aux reines, laissez tomber. Mais il n'en demeure pas moins que ces ouvrages sont tout se qu'il y a de plus complet, et s'appuient sur des recherches historiques et archĂ©ologiques. Aucun rĂ©cit romancĂ©, au contraire, tout est constatations, Ă©tudes et hypothĂšses.[/u] Citer IzarraLes ouvrages de Christiane Desroches-Noblecourt sont en gĂ©nĂ©ral bien faits et complets. Sinon, pour une vue plus gĂ©nĂ©rale, je vous conseille l'histoire de l'Egypte de Nicolas Grimal. Citer SalmanasarEn effet,cher Louis-Auguste,comme izarra,je vous conseillerais "Histoire de l'Égypte ancienne" de Nicolas Grimal,qui couvre tout les pĂ©riodes allant de la prĂ©histoire jusqu'Ă  la conquĂȘte grecque,et qui est aussi trĂšs bien documentĂ© et offre aussi une trĂšs bonne analyse. De plus,en plus de l'histoire proprement dit,ce livre donne des renseignements sur l'Ă©volution de l'art Ă©gyptien sculptures,Ă©critures,architectures,ainsi que les moeurs cultes mortuaires etc,,Ă  travers les Ăąges. Il y a aussi les livres de BĂ©atrix Midant-Reynes,si vous vous intĂ©resser Ă  la prĂ©histoire de l'Égypte. Quoi qu'il en soit, j’ai bien apprĂ©ciĂ© ces deux livres,c'est d'ailleurs pour cela que je les ait achetĂ© . Il y a encore d'autres bon livres que j'ai lu sur l'Égypte ancienne,ainsi que de bonnes biographies sur certains pharaons et reines d'Egypte, mais ces lectures remontant Ă  quelques annĂ©es, je ne me souviens plus des auteurs,et mĂȘme parfois des titres. Citer HamorYoyotte est un bon spĂ©cialiste de l'Egypte ancienne. Sinon il faut retourner aux sources HĂ©rodote et Plutarque semblent s'imposer, aprĂšs il y a tous les autres, ils sont innombrables et mĂȘme s'il y a du romancĂ©, il est important de connaĂźtre la vision qu'avaient les contemporains de cette grande Egypte. Citer Louis-AugusteNicolas Grimal semble faire l'unanimitĂ©. Je commencerai donc par lui. Jean Yoyotte, oui, maintenant que vous me donnez son nom, cela me dit quelque chose. Un ami m'a conseillĂ© les ouvrages de Claire Lalouette. Qu'en pensez-vous ? Citer ClioNicolas Grimal est une excellente rĂ©fĂ©rence mais attention Ă  ne pas ĂȘtre dĂ©couragĂ©, son Histoire de l'Egypte ancienne chez Fayard est un pavĂ©... Personnellement je trouve Desroches-Noblecourt meilleure quand elle parle que quand elle Ă©crit. SacrĂ©e bonne femme quand bouquins de Claire Lalouette chez Champs Flammarion sont trĂšs bien vous commencez, pourquoi ne pas tenter une approche par les oeuvres avec Oeuvres choisies, l'art Ă©gyptien au Louvre de Florence MaruĂ©jol chez Scala le commentaire d'une oeuvre est alors l'occasion d'Ă©tudier diffĂ©rents aspects de la civilisation complĂ©ment un petit tour du cĂŽtĂ© d'HĂ©rodote ou de Strabon n'est pas dĂ©nuĂ© de si vous avez l'occasion de passer par le MusĂ©e du Louvre n'oubliez pas la librairie trĂšs bien achalandĂ©e sur le sujet cĂŽtĂ© textes comme illustrations. Citer KeikozEn effet, comme on l'a dit Nicolas Grimal est Ă  la fois trĂšs complet et savant, mais de taille Ă  dĂ©courager le total nĂ©ophyte... Ca reste une trĂšs bonne rĂ©fĂ©rence, peut-ĂȘtre plus lisible chez Fayard qu'en poche... Je crois que comme source intĂ©ressante il existe un recueil de papyri et textes Ă©gyptiens trĂšs plaisants Ă  la lecture HĂ©rodote Ă©tant une source tout de mĂȘme pĂ©riphĂ©rique..., traduits. Mais je n'en retrouve plus le titre... -Documentation sur peinture et sculpture Ă©gyptiennesCiter GrenouilleJ’aimerais trouver de la documentation sur l'Ă©volution de la peinture et de la sculpture Ă©gyptienne, savez vous ou je pourrais en trouver? Ou alors si quelqu'un sait m'aider, merci. Citer The irishIl existe un livre traitant de ce sujet et que je possĂšde moi mĂȘme, il est trĂšs bien illustrĂ© et les commentaires sont tout Ă  fait intĂ©ressants L'Egypte de Dietrich WILDUNG aux Ă©ditions CITADELLES. Je vous le conseille. -Pharaons des XVIII-XIXĂšmes dynastiesCiter DeckJe fais des recherches concernant les XVIIIe et XIXe dynasties. Pourriez- vous me donner des noms d'ouvrages ou des liens vers sites Internet pour pouvoir pousser mes recherches ?J’ai rĂ©cemment lu un ouvrage sur AkhĂ©naton "AkhĂ©naton" de Gilbert SinouĂ©. En auriez vous d'autres Ă  me proposer ? Ou bien y a t-il dĂ©jĂ  des liens que je n'ai pas vus sur le forum ? Citer ZunkirPour des biographies de souverains et souveraines de la pĂ©riode C. Desroches-noblecourt, La reine mystĂ©rieuse Hatchepsout, J'ai Lu Poche, 2003id., Toutankhamon, Pygmalion, 2004id., Ramses II, LGF, Ramses II, Souverain des souverains, DĂ©couvertes Gallimard, Nefertari, Le Rocher, 1999 cet ouvrage concerne en fait les femmes et les enfants de Ramses II ThĂšbes 1250 av. RamsĂšs II et le RĂȘve du pouvoir absolu, Autrement, Ramses III, Histoire d'un rĂšgne, Pygmalion, 1997 XXĂš Dynastie, mais toujours intĂ©ressantUn ouvrage sur la pĂ©riode qui vous intĂ©resse vient tout juste de sortir, mais je n'ai pas notĂ© la rĂ©fĂ©rence ... Quoiqu'il en soit, vous avez toujours la possibilitĂ© de vous rĂ©fĂ©rer aux ouvrages gĂ©nĂ©raux de et sur l'histoire de l'Egypte Ancienne. Citer DeckConnaissez vous un recueil relatant les principaux Ă©vĂšnements de ces dynasties ? Citer ZunkirIl n'y a pas d'ouvrages traitant spĂ©cifiquement de l'histoire de cette pĂ©riode Ă  part Le monde des Ramses pour la fin du Nouvel Empire. Il faut donc voir du cĂŽtĂ© des ouvrages gĂ©nĂ©raux, comme Histoire de l'Egypte ancienne existe en format poche ; ou bien De l'Afrique Ă  l'Orient, l'Egypte des pharaons et son rĂŽle historique, 1800-330 avant notre Ăšre, Ellipses, 2005. Sinon en plus fouillĂ© il y a le trĂšs bon L'Egypte et la vallĂ©e du Nil, tome 2 De la fin de l'Ancien Empire Ă  la fin du Nouvel Empire, Clio, L'Empire des Ramses, Flammarion, Champs, 1987. Il a prĂšs de 20 ans, mais c'est un livre de grande qualitĂ©. Citer Deshays Yves-MarieQuelques rĂ©fĂ©rences - Akhenaten and Nefertiti en anglais de Cyril ALDRED - Thames and Hudson, London 1973. TrĂšs belles NĂ©fertiti une reine de lĂ©gende, une biographie magistrale de Philipp VANDENBERG, Ă©ditions Pierre Belfond, format de poche un registre plus poĂ©tique NĂ©fertiti et le rĂȘve d'Akhnaton, les mĂ©moires d'un scribe, d'AndrĂ©e CHEDID Roman/Flammarion, 1974. Citer CaidLa famille du pharaon Ahmose I egalement connu comme Amosis I.Il crea la 18e dynastie aux environ de 1550 BC-1525 BC, apres avoir vaincu et chasse les I epousa Ahmose-Nefertari, qui etait egalement sa aura plusieurs enfants- Merytamun – l'ainee des enfants d'Ahmose-Nefertari, mourra jeune- Tair – fille de Satamun – 2e fille d'Ahmose-Nefertari, mourra jeune Ahmose-Sipair – l'aine des garcon avec Ahmose-Nefertari mourra enfant - Ahmose-Meritamon – 3e fille avec Ahmose-Nefertari deviendra reine Amenhotep I – 3e fils avec Ahmose-Nefertari , deviendra pharaon en succedant a son pereSatkames – 4e fille avec Ahmose-Nefertari mourra a l'age de 30ans Henttameh – fille de ThenthapiQuelques momies, consultables ici ... Epouse et soeur d'Ahmose I, NefertariCiter Son association Ă  certaines rĂ©alisations de son Ă©poux est trĂšs Ă©troite, elle fut la premiĂšre reine Ă  assumer la fonction sacerdotale de Divine Adoratrice d'Amon ; en tant qu' Ă©pouse du dieu », elle rĂ©organisa le culte, y gagnant en prestige au point de devenir une sainte patronne de la nĂ©cropole thĂ©baine, avec une barque qui Ă©tait sortie lors des processions liĂ©es aux grandes Leur fille Merytamun -Ouvrage de rĂ©fĂ©rence sur le Moyen Sargon d'AkkadConnaissez-vous un ouvrage qui prĂ©sente en dĂ©tail le moyen empire faits, pharaons, complexes funĂ©raires, statuaire ? Citer DeckSur les Pharaons, vous pouvez toujours vous reporter au Dictionnaire des Pharaons de Pascal Vernus et Jean Yoyotte, dont vous avez la rĂ©fĂ©rence dans la BibliothĂšque ! Citer EthelbertLe problĂšme de cette pĂ©riode est qu'il y a peu de sources archĂ©ologiques sauf pour les complexes funĂ©raires construits en dur, et donc peu d'ouvrages qui y sont relatifs. À dĂ©faut d'un ouvrage consacrĂ© Ă  la pĂ©riode, il faut aller farfouiller dans diffĂ©rents ouvrages, gĂ©nĂ©ralistes ou plus pointus - Egypte - Le Temps des pyramides, coll. Univers des Formes - Kemp Egypt, a social history - Kemp Egypt - Anatomy of a civilization - Grimal N., L'Egypte ancienne - Vandier, Manuel d'archĂ©ologie Ă©gyptienne, tome 2 Et j'en oublie plein, mais tu devrais trouver une liste beaucoup plus complĂšte dans la partie "BibliothĂšque" de ce forum. Si tu parles allemand, tu peux essayer de chercher des ouvrages de D. Wildung, qui est d'aprĂšs ce que m'en disaient mes profs de l'Ecole du Louvre le spĂ©cialiste mondial de cette pĂ©riode. Je ne sais pas si certains de ses ouvrages ont Ă©tĂ© traduits en français, en revanche. Citer SophranesDans l'excellente collection Nouvelle Clio du PUF il y a un De la fin de l'AE Ă  la fin du NE, de Vandersleyen. Mais je ne sais pas si ça correspond Ă  ce que tu recherches. C'est dense mais passionnant car problĂ©matisĂ© et gĂ©nĂ©ralement, il y a peu de choses sur l'archi dans cette collection. C'est pas trop histoire de l'art. Citer Sargon d'AkkadMerci, je vais dĂ©jĂ  me dĂ©brouiller avec tout ça. L'Ancien et le Moyen Empire sont les pĂ©riodes que je trouve les plus passionnantes dans l'histoire de Égypte car leur pĂ©riode est assez mal connue. Cela ne fait pas partie du sujet mais est-il vrai que la chambre funĂ©raire de la pyramide d'Amenemhat Ier n'a jamais Ă©tĂ© fouillĂ©e Ă  cause de la prĂ©sence d'eau dans la tombe ? Citer PascalDe Wildung "l'Age d'Or de l'Egypte" est la seule synthĂšse grand public Ă  ma connaissance qui porte exclusivement sur le Moyen Empire avec les deux premiĂšres PĂ©riodes IntermĂ©diaires. Bien qu'un peu ancien, le livre est illustrĂ© de nombreuses photographies N&B; et peut se trouver assez facilement en bibliothĂšque. RĂ©ponse Ă  Ethelbert l'ouvrage de Wildung que je mentionnais est entiĂšrement traduit. Il est Ă©ditĂ© chez l'Office du Livre. _________________Tous les dĂ©sespoirs sont permis Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles." - ValĂ©ry - Citation - Source: La crise de l'esprit . Chercher Citations ; ThĂšmes & mots-clĂ©s ; Auteurs ; Citation du jour ; Citation de Paul ValĂ©ry - Nous autres, civilisations, savons maintenant que Biographie - Paul ValĂ©ry: Ecrivain, poĂšte et philosophe français. Naissance: 1871 - DĂ©cĂšs
PENSER LE MONDE AU TEMPS DU CORONAVIRUS CHRONIQUE 1, LE 20 MARS 2020 MORTELLE CIVILISATION ! En ces temps obscurs et douloureux, de confinement quasi planĂ©taire, oĂč un flĂ©au d’une ampleur encore incommensurable sur le plan humain, tant du point de vue sanitaire que social ou psychologique sans mĂȘme parler de ses dĂ©sastreuses consĂ©quences Ă©conomiques, rĂ©pand la mort, angoisse et souffrance, aux quatre coins de nos cinq continents, et surtout en Europe aujourd’hui, il serait tentant, mais peut-ĂȘtre aussi trop facile, de paraphraser, en en dĂ©plaçant certes le contexte historique, la cĂ©lĂ©brissime premiĂšre phrase de Marx et Engels en leur non moins fameux Manifeste du Parti Communiste un spectre hante l’Europe le spectre du coronavirus ». Je ne m’y adonnerai toutefois pas ici. L’heure, en effet, est suffisamment grave, en cette deuxiĂšme dĂ©cennie du XXIe siĂšcle, et la situation suffisamment sĂ©rieuse, pour ne rien ajouter, face Ă  cette prĂ©occupante pandĂ©mie du covid-19, au catastrophisme ambiant, Ă  un alarmisme exagĂ©rĂ© ou Ă  une quelconque et trĂšs malvenue thĂ©orie du complot, oĂč de nouveaux apprentis sorciers, idĂ©ologues de tous poils et autres prĂȘcheurs de mauvais aloi, font de leur prĂ©tendu savoir, mais bien plus encore de leur fonciĂšre ignorance, le lit aussi nausĂ©abond qu’arrogant de leurs propres et seuls calculs politiques, souvent fanatisĂ©s. Honte Ă  ces sinistres dĂ©magogues qui exploitent ainsi sans vergogne, sur de misĂ©rables vidĂ©os qu’ils essaiment Ă  l’envi sur les diffĂ©rents rĂ©seaux sociaux, l’actuelle dĂ©tresse humaine ! C’est donc Ă  un immense poĂšte, philosophe Ă  ses heures intelligemment perdues – le grand Paul ValĂ©ry –, que je ferai appel ici, plus modestement, afin d’éclairer quelque peu, certes humblement mais plus sagement aussi, cette sombre et funeste plaie du temps prĂ©sent. LA CRISE DE L’ESPRIT Il y a tout juste un peu plus d’un siĂšcle, en 1918, au lendemain donc de la PremiĂšre Guerre mondiale mais le prĂ©sident de la RĂ©publique Française, Emmanuel Macron en personne, ne vient-il pas de marteler que, face Ă  cet ennemi invisible et insaisissable » qu’est ce menaçant coronavirus, nous Ă©tions prĂ©cisĂ©ment en guerre » ?, ValĂ©ry Ă©crivait, en effet, un texte mĂ©morable, d’une extraordinaire profondeur d’ñme et dont l’emblĂ©matique titre, La Crise de l’Esprit », devrait plus que jamais rĂ©sonner, aujourd’hui, comme un pressant quoique salutaire cri d’alarme, Ă  mĂ©diter toutes affaires cessantes, au vu de cette urgence simplement mĂ©dicale, pour l’avenir, sinon la sauvegarde, de l’humanitĂ©. Ainsi donc ValĂ©ry commençait-il dĂ©jĂ  Ă  l’époque, d’une formule dont la concision n’avait d’égale que sa justesse, son admirable mĂ©ditation Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » Et de justifier ensuite, avec force dĂ©tails et preuves Ă  l’appui, quoique sans pour autant jamais tomber en un nihilisme tout aussi dĂ©sespĂ©rant, voire suspect, cette douloureuse mais lucide assertion Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’empires coulĂ©s Ă  pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins ; descendus au fond inexplorable des siĂšcles avec leurs dieux et leur lois, leurs acadĂ©mies et leurs sciences pures et appliquĂ©es, avec leurs grammaires, leurs dictionnaires, leurs classiques, leurs romantiques et leurs symbolistes, leurs critiques et les critiques de leurs critiques. Nous savions bien que toute la terre apparente est faite de cendres, que la cendre signifie quelque chose. Nous apercevions Ă  travers l’épaisseur de l’histoire, les fantĂŽmes d’immenses navires qui furent chargĂ©s de richesse et d’esprit. Nous ne pouvions pas les compter. Mais ces naufrages, aprĂšs tout, n’étaient pas notre affaire. Elam, Ninive, Babylone Ă©taient de beaux noms vagues, et la ruine totale de ces mondes avaient aussi peu de signification pour nous que leur existence mĂȘme. Mais France, Angleterre, Russie
 ce seraient aussi de beaux noms. 
 Et nous voyons maintenant que l’abĂźme de l’histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la mĂȘme fragilitĂ© qu’une vie. Les circonstances qui enverraient les Ɠuvres de Keats et celles de Baudelaire rejoindre les Ɠuvres de MĂ©nandre ne sont plus du tout inconcevables elles sont dans les journaux. » UNE CIVILISATION A LA MÊME FRAGILITE QU’UNE VIE ValĂ©ry, oui, a, hĂ©las, raison Ă  l’heure oĂč l’humanitĂ© se voit aujourd’hui menacĂ©e trĂšs concrĂštement, pour reprendre les termes mĂȘmes des principaux responsables de l’OMS Organisation Mondiale de la SantĂ© aussi bien que de l’ONU Organisation des Nations-Unies, et face Ă  laquelle le nouveau coronavirus n’est assurĂ©ment que le symptĂŽme Ă  la fois le plus spectaculaire, vaste et dangereux, nous sentons qu’une civilisation a la mĂȘme fragilitĂ© qu’une vie ! Car cette humanitĂ©, effectivement, est aujourd’hui comme assiĂ©gĂ©e de toutes parts rĂ©chauffement climatique ; pollution atmosphĂ©rique ; destruction de l’écosystĂšme ; rĂ©trĂ©cissement du biotope ; Ă©rosion des glaciers ; fonte des neiges ; Ă©lĂ©vation des ocĂ©ans ; inondations et tsunamis ; cyclones et tremblements de terre ; disparition d’espĂšces animales ; Ă©touffement de la faune vĂ©gĂ©tale et marine ; apparition de maladies inconnues et de nouvelles pathologies ; Ă©pidĂ©mies incontrĂŽlables ; augmentation des dĂ©pressions nerveuses, des burn out et des suicides ; multiplication des guerres locales ou tribales ; propagation du terrorisme islamiste ; retour de l’obscurantisme religieux ; montĂ©e des extrĂ©mismes et autres populismes ; migrations gigantesques ; dĂ©placements de populations ; pauvretĂ© grandissante ; crash boursiers ; robotisation de l’humain, voire du post-humain ; emballement du capitalisme sauvage ; triomphe de l’argent ; soif de compĂ©tition mal comprise ; mĂ©pris de la culture au profit du happening ; dĂ©perdition de la langue comme de l’écrit ; nĂ©gation du rĂ©el au profit du virtuel ; Ă©mergence de la pensĂ©e unique au dĂ©triment de la rĂ©flexion critique ; rĂšgne de l’effet de mode ; empire du conformisme ambiant ; valorisation du matĂ©rialisme et dĂ©valorisation du spirituel ; course folle Ă  l’armement ; perte de tout point de repĂšre pour une jeunesse en mal d’idĂ©aux ; dĂ©prĂ©ciation des valeurs morales, du sens de l’éthique et des comportements civiques, toutes choses pourtant essentielles Ă  la bonne marche du monde ; aveuglement de masse 
 Et j’en passe les tares de notre pseudo modernitĂ© sont trop nombreuses pour que je puisse les Ă©numĂ©rer toutes ici ! LA NATURE, A DEFAUT DE CƒUR, A SES RAISONS QUE LA RAISON NE CONNAÎT PAS Ainsi donc, oui, Paul ValĂ©ry, esprit fin, cultivĂ©, profond et subtil Ă  la fois, a raison notre civilisation, nous le constatons Ă  prĂ©sent de maniĂšre on en peut plus tangible avec cette dramatique crise du coronavirus, est, elle aussi, mortelle ! A cette Ă©norme diffĂ©rence prĂšs qu’elle s’avĂšre aujourd’hui doublement mortelle mortelle au sens passif – elle se meurt, inexorablement, et par notre propre faute – mais aussi au sens actif – elle est en train, littĂ©ralement, de nous tuer, en une soudaine accĂ©lĂ©ration exponentielle, et toujours par notre propre faute, ce mixte inconsidĂ©rĂ© d’inconscience, d’imprĂ©vision et d’égoĂŻsme, de piĂštres calculs Ă  toujours Ă  trop courts termes, sans visions d’ensemble, aiguillonnĂ©e par le seul intĂ©rĂȘt particulier au dĂ©triment de l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Oui, le monde contemporain a les idĂ©es courbes plus encore que courtes voilĂ  pourquoi, dĂ©sormais, il ne tourne plus rond qu’en apparence. Pis il se veut tellement rĂ©glĂ©, formatĂ©, normatif, telle une parfaite machine Ă  fabriquer un totalitarisme qui s’ignore, un fascisme qui ne dit pas son nom, qu’il a fini, au comble d’un paradoxe aussi vertigineux que comprĂ©hensible, par se dĂ©rĂ©gler, sans plus de limites pour le contenir dans la sphĂšre de la raison, du simple bon sens. Nous en payons aujourd’hui, prĂ©cisĂ©ment, le lourd et tragique tribut ! Le systĂšme, en ces temps aux rumeurs d’apocalypse, est, manifestement, Ă  bout de souffle un minuscule mais surpuissant virus peut anĂ©antir, ou presque, sinon une civilisation tout entiĂšre, du moins l’arrogance des hommes ! Terrible et fatidique boomerang ! La technologie, fĂ»t-elle la plus sophistiquĂ©e, n’y peut rien la nature, Ă  dĂ©faut du cƓur, a ses raisons que la raison ne connaĂźt pas ! IL FAUT TENTER DE VIVRE ! D’oĂč, urgente, cette conclusion en forme de priĂšre l’ĂȘtre humain, s’il ne veut pas vĂ©ritablement disparaĂźtre, saura-t-il enfin prendre Ă  sa juste mesure, en y rĂ©flĂ©chissant doctement, avec la sagesse dont il est encore capable, les impĂ©rieuses, et surtout vitales, leçons de cette tragique, sinon encore fatale, histoire ? C’est lĂ  un souhait que j’exprime ici trĂšs sincĂšrement, nanti de l’indĂ©fectible soutien moral et intellectuel, lĂ  encore, du grand Paul ValĂ©ry dans les derniers vers de cette splendide mĂ©ditation, quasi mĂ©taphysique, sur la mort qu’est son CimetiĂšre Marin », l’un des plus beaux poĂšmes, au sein de la littĂ©rature française, du XXe siĂšcle Le vent se lĂšve !... Il faut tenter de vivre ! » Allez, courage, hommes et femmes de bonne volontĂ© la guerre, malgrĂ© l’immense souffrance de ce monde aujourd’hui endeuillĂ©, et par-delĂ  mĂȘme ce douloureux avertissement qui nous Ă©treint quotidiennement, n’est pas perdue ! DANIEL SALVATORE SCHIFFER* *Philosophe, auteur, notamment, de La Philosophie d’Emmanuel Levinas – MĂ©taphysique, esthĂ©tique, Ă©thique » Presses Universitaires de France, Oscar Wilde » et Lord Byron publiĂ©s tous deux chez Gallimard – Folio Biographies, TraitĂ© de la mort sublime – L’art de mourir de Socrate Ă  David Bowie Alma Editeur, Divin Vinci – LĂ©onard de Vinci, l’Ange incarnĂ© » et Gratia Mundi – RaphaĂ«l, la GrĂące de l’Art » publiĂ©s tous deux aux Editions Erick Bonnier.
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